vendredi 30 décembre 2016

Féminité / Dame nature Une toile de Chafia Loudjici

Huile sur toile, 50 X 60 cm, 2016

Au premier regard on pourrait croire que ce  « dessin » fait référence à une marionnette, mais… à bien l’observer… pas du tout à cause de ce regard si clair de joie et de passion intérieure. Passion vive, éveillée, comme en alerte….
Et la jeune artiste (photographe par ailleurs) confirme : « c’est  la mère nature qui malgré toute sa souffrance sait protéger son enfant et son existence »…
Mais le sentiment reste bipolaire, contradictoire tant certains atouts de cette Dame semblent durs : sa chevelure de bois d’hiver sans feuille, acéré telles des épines… Et le coté plutôt osseux (un rien difforme) des épaules, de son cou très étiré et de sa robe évasée à la taille…

Ce que contrebalance harmonieusement des yeux bleutés et clairs, des lèvres amorçant le sourire dans une atmosphère douce vert émeraude ainsi que des paumes de mains protectrices… 



Oui, il y a du charme, de la sympathie, de la force tranquille et décidée dans cette Dame venue on ne sait d’où….


Au final, on peut sincèrement dire : la Nature nous sauvera et sauvera le Genre humain.


Abderrahmane Djelfaoui

Fin d’année, fin dattier

Marchant dans nos villes, regarde-t-on suffisamment bien autour de soi, ou juste au-dessus de nos propres cils ?...

Convaincus que nous vivons un monde plus que disgracieux, nous allons souvent enfouis dans nos imaginaires malmenés, hachés, sourds, macérés…

Imaginaires sous pression et manquant trop de la vastitude du ciel et ses lumières, ses éclats doux, ses ailes de pigeons, ses passages d’avions à très haute altitude traçant des lignes de rêve par delà les feuillages des boulevards…

C’est ainsi qu’en ce dernier vendredi de l’année, 30 décembre, je faisais une petite marche dans Ain Naadja, banlieue sud d’Alger, pensant à retravailler un de mes recueils de poésie quand….

L’humble majesté de l’arbre vu du trottoir….


Quand j’ai levé le regard sous un des palmiers qui borde l’avenue… Des palmiers, il en a été planté des milliers ces dernières années, mais celui-là, différent, est un palmier portant généreusement ses fruits. Un palmier dattier….

Quelques riverains observent, s’étonnent et se demandent quelle variété de dattes cela peut-il être….

Au moins deux quintaux de dattes….

Simple réalité de la vie ? Ou petit miracle lumineux de fin d’année ?..
 Les deux, plus une petite douceur et générosité pour l’année à venir…


Abderrahmane Djelfaoui

vendredi 23 décembre 2016

Mohammed Khadda : une « flèche » de langue(s) et traduction(s)

Bel hommage (ô combien mérité) ce jeudi 22 décembre qui, par le vernissage de « ACTUELLES PARTITIONS POUR TOUS JOURS », marque la rétrospective qu’organise le Musée National des  Beaux-Arts d’Alger à l’occasion du 25ème anniversaire du décès de l’artiste Mohammed Khadda.

Ce sont des dizaines, sinon des centaines d’œuvres multiformes (peintures à l’huile, aquarelles, gravures, affiches,  tout comme nombre de couvertures d’ouvrages, dessins ou outils de travail sous vitrines), toutes œuvres d’une vie créatrice tendue qui sont ainsi mises à la disposition des publics en cette fin d’année dans les salles et galeries du musée du Hamma.

Un siècle de retrouvailles à la salle des bronzes du musée.

Parmi toutes ces œuvres, une a fortement retenue mon attention ; une aquarelle, - un art dans lequel Mohammed Khadda  a particulièrement excellé.  Datant de 1987 son titre est toute une projection poétique : « ENVOL SUR ROCHE », en arabe : « tayrâne 3alâ sakhra »… Tout en l’observant, un connaisseur du Musée en déchiffra pour moi de droite à gauche ses ailes-lettres tracées noires sur rose : « es-sehm », me dit-il, « la flèche »…

                                                                   (Photo : Abderrahmane Djelfaoui)

Hasard ?... A une enjambée de là je rencontrais Inam Bioud et Khawla Taleb Ibrahimi, deux amies ; l’une poétesse et directrice de l’Institut arabe de traduction, l’autre enseignante universitaire et essayiste, toutes deux grandes praticiennes des langues…


L’évocation entre nous de l’ami Mohammed Khadda (Mohammed avec deux m, comme le soulignait Habib Tengour, écrivain, qui avait été vertement rabroué par l’artiste de son vivant pour n’avoir pas respecté la chedda), nous mena a mettre en lumière l’autre évènement de cette exposition à savoir la traduction à l’arabe faite pour la première fois d’un écrit de Mohammed Khadda :« éléments pour un art nouveau ». Ce célèbre ouvrage en français avait été édité en 1972 par l’Unap  et imprimé sur les presses de la SNED (atelier Zabana où travaillait l’artiste lui-même). Prix de vente 6 DA…
La notice de quatrième de couverture spécifiant que « cette plaquette constitue le tome I de la collection ‘recherches Esthétiques’ que se propose de publier l’Union Nationale des Arts Plastique » (union dont Khadda avait été un des fondateurs).

Mon exemplaire du siècle passé et….

… sa table des matières …


J’avais déjà discuté à ce sujet avec Madame Orfali, la Conservatrice du Musée National des Beaux-Arts, lui demandant comment cette idée de traduction d’un livre de Khadda était venue plus d’un quart de siècle après sa parution ?
« Parce que le Musée à énormément d’ateliers d’enfants, de jeunes adultes, etc, qui sont parfois totalement hermétiques à ce qu’ils ont autour d’eux parce que toutes les sources documentaires sont en langue française. Nous sentons bien le blocage ; nous qui travaillons dans le Musée nous nous rendons compte que tout ce qui est mis à disposition en langue française n’est plus accessible pour la jeunesse. Ce patrimoine restant dans un cercle très élitiste, ce qui est dommage, il était donc impératif que ces textes fondateurs de l’art algérien soient mis à la disposition des jeunes publics et ne soient plus occultés… »


Madame Orfali présentant un exemplaire de la toute nouvelle traduction de Khadda en arabe


Aussi l’occasion était belle, rencontrant Inam Bioud à cette exposition, de lui demander plus d’éclaircissements quant à cette traduction toute neuve…


Inam Bioud devant le tableau « Talisman rouge », une huile sur toile de 1969

« J’ai connu Khadda dans les années 78/79, me dit-elle, avec un groupe d’amis dont Rachid Boudjedra et bien d’autres… Mais traduire son livre édité il y a trente et plus, c’est en fait traduire un texte d’actualité. Le traduisant, j’avais l’impression forte que Khadda parlait d’Eléments pour un art nouveau d’aujourd’hui, en 2016 !... L’artiste était en avance. Il avait une vision qui se projetait loin dans l’avenir… C’est aussi l’avis de ma fille qui a lu ce livre en français… On n’a pas du tout l’impression qu’il date de plusieurs décennies déjà… »

Couverture de la revue EUROPE réalisée par Khadda en 1976

Et Inam Bioud de poursuivre : « Cela a été aisé de le traduire du français à l’arabe, parce que Khadda utilise le mot qu’il faut à la place qu’il faut. C’est vraiment un plaisir de clarté et de concision… Je l’ai fait presque d’un trait… Et en travaillant c’est comme si Khadda ressuscitait devant moi. Je l’entendais dire ses phrases, les prononcer…Il n’y a vraiment pas eu problème, tant les idées de Khadda sont claires. Je pense que ce sont les gens qui n’ont pas de suite dans les idées qui sont difficiles à traduire. Le traducteur doit réfléchir à leur place… A mon avis, chaque écrivain qui écrit devrait penser qu’il sera un jour ou l’autre traduit et donc penser son écriture de façon la plus maniable, en allant à l’essentiel sans jamais perdre de vue l’idée centrale… Avec Khadda il n’y a pas eu de difficulté, il fallait seulement trouver la manière de dire. Je crois qu’écrire sur un artiste c’est une manière de dire ce dont il est capable. A ce titre, pour moi l’émotion doit primer. De là découle la beauté…. »




Abderrahmane Djelfaoui


dimanche 18 décembre 2016

TIZI OUZOU – ALGER : JACQUES FOURNIER RACONTE MOHAND TAZROUT

… J’ai été invité à venir à Tizi Ouzou puis à Alger pour parler d’un livre publié sous ma direction qui vient juste de paraitre : « Mohand Tazrout. La vie et l’œuvre d’un intellectuel algérien ». Dans ce livre collectif ma part a été de décrire Mohand Tazrout tel que je l’ai connu comme mon beau père…
Pour comprendre cette relation, je dois dire que mon rapport à l’Algérie remonte à mon enfance passée dans le Dahra à Sidi Ali (ex Cassaigne, où mon père était médecin de campagne) et dans l’ouest algérien. Il faut aussi dire que lorsque j’ai commencé mes études supérieures en France à sciences po en 1947 j’ai rencontré là Jacqueline Tazrout qui était la fille de Mohand Tazrout, homme que j’ai bien connu ; enfin au fait que je me suis vivement intéressé  au conflit qui se déroulait dés 1954 sur le sol algérien. Si je suis parti très tôt d’Algérie, l’Algérie m’aura très vite rattrapée ! J’ai ainsi une relation personnelle forte avec tous ces thèmes …

Depuis 2000 je suis revenu plus souvent en Algérie où j’ai des amis, et j’ai été surpris de constater qu’en Algérie on s’intéressait à Mohand Tazrout (mort en 1973) lequel de son vivant avait été peu connu mais qui est maintenant redécouvert avec même la réédition de certains de ses livres. J’ai appris que des articles (de Kaddour M’Hamssadji) et des conférences (de Slimane Benaziez) ont été réalisés à son sujet. Des récits également ont été faits sur son existence dont certains sont d’ailleurs parfois fantaisistes selon lesquels, après avoir été institutuer à Teniet El Had il serait parti à 20 ans faire un voyage autour du monde, en Egypte, puis en Iran où il aurait appris le persan, en Russie juste avant la révolution soviétique où il aurait apprit le russe, et serait même allé en Chine pour ne revenir en Europe qu’en 1917…  On n’avait jamais entendu parler de ces choses là dans la famille ; il s’était d’ailleurs engagé en tant que tirailleur algérien dés le début de la guerre en 1914 et blessé et fait prisonnier pendant deux ans, jusqu’en 1916, au camp de Sussen où les allemands mettaient les prisonniers en provenance d’Afrique du Nord où ils essayaient par la propagande de les convaincre qu’ils étaient les amis des Arabes et des Turcs.... Il a d’ailleurs été naturalisé français par un  décret du 1er juin 1914 qui lui a donné le statut personnel français…
C’est pour ces raisons établies par des archives que je me suis intéressé à connaitre de manière plus profonde et précise la personnalité de mon beau père.
C’est ainsi qu’avec d’autres personnes qui ont travaillé sur Tazrout, d’une manière extrêmement sérieuse et documentée en France comme en Algérie, nous avons élaboré un livre de plusieurs regards croisés sur lui.



Mon regard d’abord, qui est celui de son gendre, suit de prés son existence et tient compte à partir des discussions que j’ai eues avec lui de l’évolution de ses positions sur les rapports entre la France et l’Algérie au fil des grands évènements de l’histoire.
Le deuxième regard est celui d’une chercheuse malheureusement disparue aujourd’hui, Nedjma Abdelfattah Lalmi, qui a fait un article complet et extrêmement documenté que nous reprenons dans ce livre sur ses activités de germaniste ; Mohand Tazrout s’était effectivement spécialisé dans la langue allemande, il est allé jusqu’à la licence, il a présenté l’agrégation et est devenu professeur d’allemand et spécialiste des études germaniques en France. Il a traduit le philosophe allemand Oswald Spengler (1880-1936) en français, une traduction qui reste une référence jusqu'à aujourd’hui. Il rencontrera même Spengler pour lui demander des éclaircissements sur certains passages obscurs de son livre pour mieux le traduire. Tazrout a été dans le même temps un grand spécialiste de la sociologie allemande dans les années1920-1930 et a écrit de nombreux articles dans la Revue Internationale de Sociologie

Spengler, auteur de « Le Déclin de l’Occident »


Puis il y a une troisième approche qui est celle d’un historien algérien, Sadek Sellam qui est allé chercher dans les archives, a réédité certains de ses  livres comme « L’Histoire politique de l’Afrique du Nord » aux éditions Alem El Afkar, Alger, en 2012 et « L’Algérie de demain », en s’intéressant à son évolution politique sur le conflit algérien. Enfin le dernier regard est celui d’Idir Tazrout, un des lointains descendants de Mohand qui est journaliste et qui a participé à l’organisation il y a deux ans d’une journée consacrée à Mohand Tazrout à la Bibliothèque nationale d’Alger ainsi qu’à la confection d’un film documentaire de court métrage sur cet intellectuel qui a commencé à se faire connaitre entre les deux guerres mondiales.


 Affiche de la rencontre d’avril 2015 à la Bibliothèque nationale d’Alger

C’est à partir de ces regards croisés et à partir de l’exhumation d’archives importantes que nous avons réalisé ce livre de prés de 300 pages qui apporte des éléments nouveaux permettant de lever un bon nombre d’incertitudes qui existaient sur le parcours de vie de Tazrout.
Autour de ce livre, j’ai donc fait une conférence à la maison de la culture de Tizi Ouzou le mardi 29 novembre et nous avons profité de cette occasion pour, la veille, faire avec mes amis universitaires de Tizi Ouzou et avec Idir Tazrout une excursion jusqu’au village très escarpé de Mohand Tazrout, son village natal qui s’appelle Tazrout, situé dans la commune des Agrhribs où il y a encore sa maison en ruine, mais pour laquelle il y a maintenant un projet de réhabilitation et de rénovation dans le cadre du patrimoine.
Toute la famille et descendance des Tazrout est là dans ce village de montagne, chacun avec sa maison. On sent que la terre joue un rôle essentiel dans la culture de ce pays.

Mohand Tazrout avec sa chéchia rouge sur la tète en 1953


J’ai aussi pu voir l’école où Mohand Tazrout avait été formé par deux instituteurs français auxquels il était très attaché, les époux Janin, cela parallèlement au fait que le père de Mohand lui avait dispensé un solide enseignement du Coran. Je me suis rendu compte qu’il fallait une bonne demie de marche entre la maison et l’école, un parcours que nous avons fait à notre tour dans les pas de l’enfant que fut Mohand Tazrout…
Nous avons été reçus par le maire des Aghribs qui s’intéresse aussi à l’évènement. C’était pour moi une journée sympathique et fantastique ! D’ailleurs plusieurs de ces personnes que nous avions rencontrées dans ce village de montagne sont descendus le lendemain matin en ville pour assister à ma conférence à la Maison de la culture de Tizi Ouzou…

La longue maturation d’une Algérie retrouvée…

Pour moi la connaissance du parcours de vie et parcours intellectuel de Mohand  Tazrout s’est faite par étapes. Arrivant à la retraite et me réinvestissant sur la question algérienne j’ai d’abord écrit un livre de souvenirs, un livre autobiographique qui s’intitule « Itinéraire d’un fonctionnaire engagé »  publié chez Dalloz en 2008 où je parle de mon enfance algérienne et où j’évoque déjà en deux ou trois pages le personnage de Tazrout.
Un peu plus tard, je me suis investit davantage avec le voyage que nous avons fait ensemble comme tu t’en souviens dans l’ouest algérien, avec un nouveau livre où je reprends et j’approfondis mes souvenirs de l’Algérie tout en portant un jugement sur son évolution et sur sa situation actuelle. Ce livre paru en 2014 s’intitule « L’Algérie retrouvée » publié chez Bouchène à Paris et Médias Plus à Constantine.


*

[J’écrivais moi-même sur ce livre il y a prés de deux ans dans le quotidien reporters: « Cet  ouvrage est écrit  par un auteur français de haute formation, rigoureux, intègre et décontracté. Jacques Fournier, d’obédience socialiste aura été au long de sa carrière ancien membre du Conseil d’Etat et Président de deux entreprises publiques : Gaz de France et la SNCF… 
L’auteur nous apporte en huit chapitres un éclairage inattendu sur nombre d’aspects méconnus de la colonisation terrienne dans le constantinois (à l’époque de ses grands parents maternels portant le nom allemand  de Messerschmitt) ; sur la région pauvre et rebelle du Dahra où il a passé son enfance; sur la mise en perspective d’autres faits vécus à l’âge adulte lors de la guerre d’Algérie, mais également une réflexion de première main sur l’expérience de décolonisation dans l’autre grand pays du Maghreb qu’est le Maroc des années 50/60… 
« … Au cœur du livre, notamment entre les pages 75 et 87, nous apprenons qu’au fil de l’avancée de sa carrière dans la haute administration française durant les années 50/60, Jacques Fournier aura « traversé » à de nombreuses et fugitives reprises une Algérie où il a pourtant vécu dix ans de sa vie sans la connaitre.  Il y revient en tout cas avec une vision et des préoccupations imposées par le mouvement réel de l’histoire qui sont à l’opposé des préoccupations aveugles de ceux que l’on nomme « les pieds-noirs » .
« Et de souligner sereinement (page 103) : « Je retrouve en Palestine contemporaine, dans un contexte certes différent mais avec les mêmes données de base, toutes les formes revêtues dans le passé par la présence française en Afrique du Nord ».
Avec l’aide de l’ami cinéaste Mostefa Abderrahmane de Mostaganem, j’accompagnais moi-même le 7 mai 2005 Jacques Fournier à Sidi Ali dans ses pathétiques retrouvailles  d’un village d’enfance où le hasard lui fait d’abord rencontrer le paysan Belhamiti qui fut soigné par son père soixante ans auparavant ! Chaleureuse empoignade. Les deux hommes d’âge vénérable bavardent au bord du champ, bord de la route… Puis Jacques Fournier demande l’homme du pays ce qu’il a fait « après »…. Et l’autre de répondre, fièrement : « Mon université fut le PPA [le Parti du Peuple Algérien]»…. Belhamiti est aujourd’hui le doyen des moudjahidine dans le Dahra… ]

Jacques Fournier avec le moudjahed Belhamiti à Sidi Ali (ex Cassaigne) mai 2005


« … Le Dahra, écrit-il page22, est une région montagneuse, relativement isolée, dont on ne parle que rarement, même aujourd’hui.  Elle a, surtout dans sa partie est,  au-delà de Cassaigne, vers les agglomérations qui s’appelaient alors Renault et Orléasnville, connu beaucoup de violences pendant la conquête.  Je ne l’ai appris que bien plus tard, par des lectures.  C’est dans le Dahra qu’ont eu lieu dans les années 1840 les « enfumades », massacres organisés de combattants et de leurs familles réfugiées dans des grottes…. Mais je n’en ai jamais entendu parler ni dans mes cours d’histoire ni ailleurs. Pas plus que je ne connaissais le nom de Sidi Ali, qu’a retrouvé maintenant Cassaigne. Il est probable que ce nom était présent dans la mémoire locale, mais je ne l’ai jamais entendu prononcer avant 1962.
« Est-ce un hasard, si parmi les attentats qui ont marqué au 1er novembre 1954, le début de la guerre d’Algérie, il y en a eu un à Cassaigne, au bordj, dans le haut du village, là où se trouvaient réunis les trois symboles de la colonisation : l’église, l’école et (c’est elle qui a été attaquée) la gendarmerie ? »]


*

Après ce livre donc, et rencontrant en Algérie même ceux qui travaillaient de leur coté sur Mohand Tazrout, j’ai pris avec eux des contacts et nous avons décidé de faire ce dernier ouvrage collectif. Cela a d’abord commencé par la réédition des écrits de la dernière période où Mohand Tazrout prenait position sur le conflit algérien, notamment un livre qui s’appelle « L’Algérie de demain » ; un livre que j’ai fourni moi-même parce qu’il n’existe presque plus nulle part et qu’il m’avait dédicacé et où il décrit comment il voit l’avenir de l’Algérie. Un livre qu’il avait publié en 1960-61, à un moment où l’indépendance n’était pas acquise, livre écrit sous un pseudonyme de Moutawakkil. Nous avons réédité ce livre en France début 2016 avec une petite préface que j’ai rédigé et une introduction de Sadek Sellam.


Un livre dont l’ouverture, le prologue intitulé Fatihat est tout un programme puisque Tazrout y écrit et affirme…
Algérien
Qui n’est rien,
Tu n’es pas un vaurien,
Je veux que tu sois demain
Le maître et non le vilain
De ton corps, de ta main,
De ton esprit altier,
De ton âme en entier,
Si tu sais défier
Les tortures des juges,
Les pièges des transfuges,
Les ruses sataniques de Gallus,
Les fraternisations de Massus.
Ils ne peuvent rien contre toi,
Ne peuvent rien contre la loi
Du peuple fier qui seul est roi,
Peuple oranais, peuple algérois,
Et peuple du constantinois.
Amen !

Comme une étrange ressemblance physique avec Messali El Hadj


Des livres que nous espérons être très bientôt disponibles en Algérie et pouvoir être ainsi entre les mains entre les mains de toutes celles et ceux qui réfléchissent, méditent, s’inspirent et créent eux-mêmes  à partir des corpus et des questions complexes de notre patrimoine immatériel

Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui

Soirée ADPE

Jacques Fournier a été, mardi 29 novembre en soirée, l’invité de l’Association pour le Développement et la Promotion de l’Entreprise (ADPE) à Alger où l’auteur a exposé avec une exceptionnelle clarté les principaux aspects de son nouvel ouvrage sur Mohand Tazrout ainsi que de ses souvenirs avec la famille de son beau père. 


Jacques Fournier a dédicacé un exemplaire de son ouvrage « Mohand Tazrout, la vie et l’œuvre d’un intellectuel algérien » à l’ADPE le remettant aux mains de son vice Président Daoud Krimat.

(Photo Abderrahmane Djelfaoui)


Photo Abderrahmane Djelfaoui

Dans une seconde partie de la soirée, les souvenirs sur l’Algérie aidant, des échanges multiformes et riches ont eu lieu sur l’évolution de la situation actuelle de l’Algérie en tant que nation ainsi que de ses rapports nécessaires, difficiles et contradictoires, avec la France. A ce sujet nombre de questions aigues ont été abordées entre autres par deux experts pétroliers Mourad Preure et Hamid Krimat sans faux fuyant dans la sérénité et la bonne écoute. Jacques Fournier a dans ce contexte évoqué ses souvenirs de manager en tant qu’ancien Président de Gaz de France et de la SNCF.
A l’issue de cette discussion un méchoui était offert et partagé  en toute convivialité et bonne humeur.




Abderrahmane Djelfaoui

mercredi 14 décembre 2016

RECUP’ART : la longue et belle marche des femmes ressources, femmes du renouveau

C’est en allant voir Maya Azeggagh à son association le Réseau d’Artisanes d’Art Algériennes (ReS’ART), elle la fille du poète Ahmed Azeggagh et ingénieur reconvertie dans l’art et l’artisanat, qu’elle m’apprit qu’il ne restait plus que deux jours pour visiter le Festival National de la Création féminine qui se déroulait au palais de la culture à Kouba…

Maya Azeggagh 

Sur les dizaines d’artistes venues à ce Festival de presque toutes les wilayate du pays, 7 d’entre elles y étaient présentes sous la bannière de son association ReS’ART me dit-elle. Nous prîmes alors rendez vous pour le lendemain au Palais de la culture…



Et comme tout commence par des fleurs, c’est une artiste de la composition florale que je vis en premier, madame Nadia Barèche de Tizi ouzou, mère de famille qui bardée d’un diplôme de sciences économiques ne s’exprime pas moins chez elle, à domicile, tous les après midi par le langage délicat du savoir-faire minutieux et rayonnant des compositions de bouquets de fleurs à partir de la récupération de matières naturelles.

Madame Barèche, à son stand

« … Tout ce qu’il y a dans mes bouquets, me dit-elle, est récupéré. Tels les épis, les tiges de palmier, les noyaux de dattes et d’abricots, tout comme je récupère les pistaches, les clous de girofle, les chapeaux des glands, les pommes de pins, les graines du frêne, les graines de potiron, la monnaie du pape appelée lunaire, anis étoilé… Je m’évade dans ce monde de fleurs, ça me repose, ça me déstresse… je ne vis pas de ça ; j’expose de temps en temps depuis 2007, quelques fois dans des galeries d’art à Alger. Mon plaisir c’est quand des gens viennent me dire : « c’est beau ! »…


Les jouets : fleurs d’enfance ...



« … D’abord je récupère du bois et c’est une habitude que nous avons en famille depuis longtemps ; partout où c’est possible, le long des routes, devant une menuiserie ou devant un tas de bois qui va être brûlé, dit madame Yamina Souilah diplômée de l’Ecole des beaux arts d’Alger mais un peu intimidée d’avoir à commenter un travail qu’elle fait naturellement et avec plaisir…
« Parfois on nous dit oui prenez, parfois on nous dit non ne prenez pas le bois, parfois on ne nous dit rien et d’autres fois on ne nous voit même pas… Depuis toujours , poursuit-elle les yeux comme embué d'un souvenir, on utilisait chez nous ce bois de récupération dans le jardin ou pour faire des étagères. Un jour, pour l’anniversaire de mon fils qui allait avoir deux ans,  l’idée nous est venue de faire des jouets en bois… Comme j’ai la chance d’avoir un mari passionné de bricolage et qui va de temps à autre travailler dans une menuiserie, je lui ai fait le dessin avec ses accessoires, un cheval. Lui il l’a usiné et réalisé. La surprise a été totale pour mon fils. Ca a aussi fait grand plaisir aux petits neveux qui sont venus à son anniversaire … Alors l’idée, naturelle, a été de faire encore d’autres jouets. A partir de là mon mari m’achète une petite machine, une sorte de scie sauteuse, qu’on met à la maison et il m’explique comment on l’utilise. Avec j’ai commencé à faire des petites voitures, des tas de petites voitures… »


Verso de la carte de visite de madame Yamina Souilah

« Comme j’en ai fait beaucoup, on m’a dit : « mais pourquoi tu ne les vends pas ces voitures ?.... » Dans le cadre d’une association j’en ai vendu quelques unes puis ca a été la rencontre avec le président de ce 7ème festival que mon travail intéressait et qui m’a conseillé de faire d’autres jouets en bois que des voitures… »




Une bougiotte sort de l’ordinaire.

Voici ce qu’en dit le catalogue d’exposition présentant madame Tamazouzt Benmoussa.
« … Revisitant des ustensiles de la vie quotidienne ou concevant des objets de décoration à base de toile de jute, de raphia ou de morceaux de bois récupérés, elle nous avait notamment marqués par ses poules de paille, et de toutes tailles, qui lui avaient valu d’être distinguée lors de la 5ème édition du Festival de la création féminine, placée sous le thème « D’orge et de blé »….



Depuis plus de sept ans, Tamazouzt travaille avec une plante naturelle le raphia, qu’elle achète avec la toile de jute. Par contre elle souligne que tout ce qui lui sert de support et formes est récupéré telles les boites de conserve de tomate, le carton dur d’emballage, les sachets de plastique, (et parfois les feuilles de figuier séchées) qu’elle modèle pour faire par tissage et collage des coffrets, des vases, des porte-clefs, des miroirs ou des tables basses…




Inspirées des trouvailles d’internet : pourquoi pas des pneus de récup ?...


Zafira Ouartsi Baba, directrice de l’école Artissimo, en visite au 7 ème Salon


Extrait du catalogue officiel : « Passionnée d’art et d’artisanat depuis toujours, quand Sofia, qui a longtemps tenu une boutique d’artisanat d’art à Alger, rencontre Nawal qui s’exerce depuis plusieurs années à différentes disciplines artistiques (modelage, céramique, décoration d’intérieur) , la connexion se fait, et cela donne du beau. […]



« Pneus qu’elles récupèrent chez les vulcanisateurs, bois de palette recyclés, cordes de tous types… se mêlent et se réinventent dans des salons, tables, fauteuils… surprenants de contemporanéité ».
« Mais tout ne vient pas de la récup comme les tissus par exemple, dit madame Benziada, sinon ce ne serait pas top… »



Timimoun contre le sachet plastique

Maya Azeggagh (du réseau de femmes artisanes Rest’Art) et Zafira Ouartsi Baba (Artissimo) au Festival National de la Création Artistique 


Dans le catalogue distribué: « Héritière du savoir faire de ses aînées dans la tradition régionale de Timimoun, reconnue pour ses tapis traditionnels, Khadidja Amrane, âgée de 37 ans, tisse depuis toujours, en famille, laine et chiffons pour en faire des tapis à usage domestique. Encouragée par le réseau national d’artisanes Res’Art avec lequel elle a poursuivi des formations  […] elle découvre les avantages économiques et les différents usages possibles du sachet en plastique en matière de tissage pour en faire des tapis et des nappes… »



Oran : la récup du plastique est aussi une belle affaire.



Femme très économe, originaire de Blida et habitant  Oran madame Baya Soussi, qui se définit comme « femme au foyer active » - Premier Prix au Salon d’Oran 2012 pour ses premiers travaux-, a commencé timidement à recycler les sachets en plastique pour en faire des pochettes de portable ou des trousses d’écoliers pour ses propres enfants « tous ravis »…. Récupérant ensuite les sacs plastiques qui, « ne doivent pas errer dans la nature », et les mettant d’abord en lanières et pelotes,  elle se lance ensuite dans le tricotage, crochetage et tissage des paniers ordinaires (shopping, plage, pique-nique) tout comme des sacs arrondis de toutes couleurs leur donnant ainsi une vie utilitaire et écologique, activité qui lui procure aujourd’hui de grandes commandes. « Je suis ravie , me dit-elle souriante et fière, que l’opinion publique algérienne soit de plus en plus sensible à la récupération et transformation des matériaux usagés »…


Asma et la revivification du patrimoine



Asma Bouabdellou, avec sa consœur Salima Mazri Badjadja, qui travaillent en tant qu’architectes stylistes à Constantine,  ont créé depuis 2011 une ligne prêt à porter de vêtement et accessoires (pochettes, sacs, bijoux, etc) nommée Pantaroual.
« En tant qu’architecte impliquée dans la restauration du patrimoine à Constantine, j’ai participé à la restauration du palais du Bey Hadj Ahmed, la Medersa du Cheikh Ahmed Ben Badis, El Ketania… A partir de là, on a commencé à s’inspirer des tenues et vêtements algériens traditionnels, mais revisités. Pourquoi la femme ne porterait-elle pas dans ses activités la tenue traditionnelle de tous les jours et non plus seulement à l’occasion de fêtes… On peut ainsi mettre un pantalon Haouka ou Mdaour qui n’est ni marocain ni tunisien, mais un seroual bien de chez nous qui nous permet de renouer avec notre sensibilité et notre manière d’être; ces pantalons qui nécessitaient dans le temps 12 mètres de tissu, nous réalisons aujourd’hui avec 2 mètres… C’est très élégant, pratique et on y est à l’aise. Nous avons maintenant mon amie et moi un appartement commun avec deux machines industrielles (acquises avec l’aide de la Chambre d’Artisanat) pour la réalisation de ce travail qui se développe. Dans ce cadre la récup n’est pas chose nouvelle pour nous, mais une idée force du patrimoine où chaque chose récupérée a sa valeur. Nous ramassons tout ce qui est ancien avec le peu de moyens que nous avons… La matière première pour nous demeure le sac de jute que nous traitons. Tout dernièrement en récupérant des cageots en plastique on a juste voulu faire passer un message puisque avec ces éléments aménagés et décorés on peut autant faire une installation de détente dans un jardin qu’en intérieur… »



Hind Hamar du réseau ResT’Art


Diplômée de l’Ecole régionale des beaux arts de Constantine, en miniature, Hind Hamar, mère de famille, s’est orientée récemment vers la récupération de jean et des chutes de tissus…



Journaux et papiers récupérés….


« … Sensible aux enjeux environnementaux, et devant la masse de vieux journaux s’entassant dans tous les coins, Goussem Djellouli s’initie en autodidacte au recy
clage de ce matériau […] pour en faire des objets de décoration figuratifs ou abstraits. » (Catalogue Recup’Art)


L’autre dimension du fil électrique : devenir bijou….


Céramiste d’argile et sculpteur de formation, Narimène Hakimi s’est retrouvée à Doubaï où son mari travaille dans la nécessité d’élaborer  une nouvelle voie à sa création puisqu’elle n’avait plus son atelier. Ses moyens du bord n’étaient que du simple fil électrique mou et flexible dans sa gaine colorée, ou du fil de corde (el halfa) et des pierres dures et brillantes… Elle senti vite en poétesse du modelage que ces éléments contradictoires pouvaient faire symbiose  en dégageant une belle et sobre harmonie en étant assemblés… Elle devint « créatrice de bijoux  de fil électrique, dit-elle, qui ne sont pas ornés de métaux précieux mais avec des chutes d’aluminium que je récupère pour les travailler bombés ou plats, mats ou brillants… » 


Entre la réalisation de plusieurs bijoux
Narimène Hakimi écrit de la poésie…


Chafika Aitoudia : d’un rève en 3D aux bijoux uniques de récupération



Chafika Aitoudia est un designer issue de l’Ecole des beaux arts d’Alger, promo 2000. « Pour ce qui est du bijou je m’y intéresse depuis 2006. Je les dessinais en 3D sur ordinateur, mais tous les artisans que j’ai contacté pour réaliser mes modèles ne voulaient pas les réaliser. Je ne sais pas pourquoi. Peut être ils n’aiment faire que leurs propres modèles. Ainsi plusieurs de mes créations sont restées en stock 3D. Mais avec d’anciens bijoux à moi en argent et en or blanc que je ne porte plus j’ai commencé à rêver de ce que je pourrais en faire… C’est comme ça que j’ai dessiné ma première bague, un simple anneau en argent que j’ai orné de pierres semi précieuses et du fil de soie rouge. La pièce est apparue… »


« Pour la bague en bois, je l’ai aussi dessinée, mais je ne savais pas avec quel matériau j’allais la réaliser, mais je l’avais comme esquisse sur micro. J’avais des chutes de bois ; du sapelli, un bois rouge exotique qui est très léger et très résistant à l’humidité ; un bois noble et cher. D’une chute de ce bois que j’ai ramassé sur un chantier où je travaillais j’ai commencé longuement à la sculpter, la découper, la tailler en y adjoignant une plaque d’argent récupéré d’un vieux bracelet acheté à la casse… Ces bijoux qui prennent du temps pour être réalisés sont des pièces uniques ; je ne fais pas dans la grande série pour ne pas dévaloriser la valeur de l’objet »

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De ce tour d’horizon notre texte (malheureusement limité) ne porte que sur le quart des femmes artisanes et artistes présentes à ce 7ème Festival… C’est dire la richesse multiforme de leur travail et créativité souvent passés sous silence mais créations qui une fois découvertes nous étonnent, nous émerveillent et nous laissent rêveur par leurs trouvailles paraissent , par leur ligne d’une sveltesse t raffinée. Beautés, beauté, beauté mesdames ! Salut respectueux à vous toutes et bonne continuation.






Abderrahmane Djelfaoui
Texte et photos