mercredi 21 septembre 2016

Said Debladji : quand la créativité jaillit du désordre !


CONSOLATION VI, disparaissant en partie derrière l’amas de toiles de petites dimensions

dans l’atelier de Said Debladji.(photo Abderrahmane Djelfaoui)

Une fois ouvert le garage et les lumières allumées: le fouillis est égal à celui d’une cave… Dans ce qui avait été initialement un garage d’environ cent mètres carrés on n’avance plus qu’en slalomant entre tables basses et amas pyramidal de petites toiles ; éléments de rangement débordés de CD, de revues et livres uniques grand format en cours de façonnage ; des bouteilles et des tubes à même le sol voisinant avec des bombes à laque ou un rouleau à pâtisserie ; une multitude de cartons éparpillés contenant toutes sortes d’ instruments, du fil, des fioles et des tubes de colle;  ici et là de gros sacs en plastique servent de poubelles…

Mais, paradoxe d’artiste, dans ce fatras, des œuvres issues de multiples coups de cœur sont tout de même bien rangées. Par dizaines on frôle des inédits faits au défi de tel ou tel sentier de peindre sinon entrepris avec une nouvelle encre que l’artiste a fait venir d’Orient ou de teinturiers du Maroc…  Ici, presque tous types de châssis et supports sont repérables. Le mur le plus illuminé est envahi d’une immense toile en cours… On ne sait si ce qui s’amoncelle sur les étagères sont des sculptures ou des masques mais un mini drapeau algérien est bien en vue !... Des appareils photos sont à portée de main pour aussi réaliser digitalement des compositions en N&B. Enfin (mais est-ce bien le mot enfin ?), a  coté d’un tuyau à gaz derrière le portail du garage: un numéro du sérieux Monde diplomatique a servi à faire un buste de femme en or (suspendue…), le journal disparaissant dans l’antre douce des seins……

La bien nouée de Said Debladji (photo Abderrahmane Djelfaoui)


Même si le buste est accroché par un bon bout de ficelle  pour y être bien vu de n’importe quel angle de l’atelier, il ne représente qu’un aspect des multiples « emportements » de l’artiste dans son travail. Une sorte d’exercice ou d’entrainement dont j’ai pu voir nombre de cas, achevés ou non,  dans cet espace où heureusement le plafond est assez haut . Sculptant différents matériaux dont le bois pour des masques à l’africaine, le plasticien Said Debladji n’en est pas moins un peintre, surtout un peintre. C’est sa première grande passion. Quand il en parle ses yeux achèvent comme une double rotation mentale de plaisir… Et pas seulement pour le motif peint, mais tout autant pour les pigments et leurs mélanges par lesquels il atteint à ce qui l’animais jusqu’à l’enivrement dans l’acte de créer…

Dans la voie de garage : l’Alep de Syrie…

Me montrant une des doubles pages d’un de ses livres d’art en cours (après qu’il est comme d’habitude fait lui même la découpe et l’assemblage du papier, la reliure, la mise en relief de la surface de la couverture, le sceau de cire de sa signature, etc), il m’explique là avec la concision de l’enseignant d’art qu’il est à l’université de Mosta le pourquoi et le comment…

Un  des ouvrages d’art du plasticien (photographie Abderrahmane Djelfaoui)

« …Cette encre, ce « hibr » est un pigment, qui contient aussi de l’indigo…. C’est un ami syrien, aujourd’hui réfugié avec sa petite famille en Algérie qui me l’a rapporté… Il a vu mes peintures « talismans » ce qu’il ne connaissait pas en tant qu’artiste calligraphie qui travaille selon les règles classiques. Il a donc  vu mon « et-talssam »,  qui n’est même pas de l’ordre des « houroufiyates » mais de petites folies « bel harf » avec des lettres que j’utilise comme motif, comme trace,  sans plus de fonction d’une langue ou de sens sacré et qui par cette transformation deviennent une force graphique et plastique ; une image mentale. Lui expliquant ce travail de démystification, il m’a offert cette encre qui m’aiderait surement me dit-il... En fait c’est une encre qui ressemble au smagh avec laquelle on écrit sur les planchettes de l’école coranique. J’ai d’ailleurs la recette pour réaliser le smagh selon tout son rituel depuis la laine brûlée…Quant à l’encre de Syrie elle vient du coté de Alep où il y a beaucoup d’usines de fabrication de tissus et où on utilise une très grande variété de pigments pour les colorer ou les imprimer … »

Au premier plan tableau de la série IWAN, 2009 (photo Abderrahmane Djelfaoui)

J’étais émerveillé par ces travaux qui sortaient ainsi « du sommeil » de leurs livres uniques, là dans un coin du garage. Et il en ouvrait d’autres, à l’envers pour mon regard,  en en tournant rapidement les grandes pages tant les œuvres étaient nombreuses, différentes, superbes, d’une inventivité et d’une luminosité surprenante par leurs tracés et leurs ombres.
Cela ne fit qu’aiguiser ma curiosité. Sachant bien que cet art des lettres porté à l’abstraction inédite est en train de gagner ses lettres de noblesse tout autant en Algérie que partout ailleurs dans le Maghreb,  il n’en est pas moins évident que chaque artiste y atteint par un cheminement propre, sinueux, particulier, souvent secret…
Qu’en est-il pour Said Debladji ?... Il sourit, mais il ne se fait pas prier…

Un grand père écrivain de talismans

« … On l’appelait Si Larbi. Il avait une échoppe au Derb et habitait à Tigditt. En tant que Koutteb, il enseignait le Coran et il écrivait… De temps en temps on venait le voir pour un talisman. J’étais enfant, mais je sais que ce n’était pas un taleb charlatan mais un taleb qui guérissait. Il travaillait beaucoup, était sincère. Les gens de cette époque étaient humbles. Son travail (ce n’était pas un artiste mais un artisan) il le faisait avec foi. Il utilisait des ingrédients naturels et des matériaux nobles comme le bois ou le salsal…  Jamais il n’aurait fait quelque chose de malveillant ou de diabolique. Lui comme mon autre grand père qui était également taleb… De voir ainsi écrire des talismans, c’est comme si je vivais un conte. C’est comme ça, dés le primaire, que j’ai commencé à dessiner et écrire. Pour moi écrire ou dessiner c’était la même chose. J’échangeais en récréation mes dessins avec mes camarades contre leurs desserts…

Signature de Said Debladji (Photo Abderrahmane Djelfaoui)

J’étais attentif à ce que mon grand père faisait ; mais plus tout ce qui attirait fortement mon regard et ma curiosité était le grand nombre de manuscrits qu’il avait. Certains étaient de sa propre plume, la plupart des autres des ouvrages de Coran, de fiqh… Malheureusement mes parents étaient presque illettrés. Aussi quand mon grand père est mort, - j’avais peut être 6 ans -, les gens de ma famille venu d’un peu partout, de Mazouna,  de la zouia de Ben Heni ont emporté tous ses livres. Il ne me reste de lui qu’un Coran, en fait quelques feuillets d’un Coran manuscrit en maghribi.
Cela m’a tellement frappé enfant que j’ai fait, plus tard, une transcription de ces images sur du sable travaillé avec du smagh, le tout sur un panneau de bois. Une œuvre que j’ai vendue… »

Photo Said Debladji

Nous avons ensuite très naturellement élargi l’échange sur la question du travail même du peintre dans son atelier. Aspects des choses qui nécessitent eux aussi le développement d’autres articles tant les pratiques artistiques sont dans un croisement perpétuel, inouï et fabuleux  avec l’inattendu … Toute la discussion étant à l’évidence zébrée de constats difficiles « à avaler », tels le non achat d’œuvres d’art par les institutions publiques  aux artistes ; la difficulté de trouver des galeries d’art conçues aux normes modernes tant dans leurs espaces que leur gestion ; le manque de supports de communication spécialisés en matière de revues, films documentaires, émissions, etc…



Tout cela n’empêchant pas qu’une poignée d’artistes d’ouvrir en continu des brèches neuves de sens et de beauté, d’innerver les sens et les imaginaires de tous les compagnons et les amoureux de l’art…


Abderrahmane Djelfaoui


dimanche 18 septembre 2016

Alger - Reykjavik : L’art d’aimer peut-il se chanter en sourdine ?...

En cette fin d’été, rien de plus inspirant que ce recueil d’amour serein  et  frais : « Dans ta lumière » qui m’arrive d’Islande. Ses poèmes traduits au français par Lucie Albertini et l’auteur lui-même (Thor Stefanson) , accompagnés de dessins au trait de Sigudur Thorir  m’ont d’un coup fait faire un saut de dizaines d’années vers un livre lointain de poésies d’amour d’Eluard (éditions Seghers…)  accompagnées de dessins au trait si fin de je ne sais plus quelle artiste de l’époque les avait signés … Des dessins qui m’avaient fait rêver autant que les poèmes eux-mêmes tant la poésie transgresse  les frontières, mais pas seulement puisqu’elle transgresse le temps aussi, et surtout lui…



Le livre reçu et (rapidement lu) je ne répondais pas immédiatement à l’ami qui attendait avec une légitime impatience mon avis là bas aux environs du cercle polaire … Je ne pouvais pas le faire sur le champ, non que le recueil ne me plaise pas, au contraire puisqu’il avait amplifié une onde de souvenances fortes et, surtout, d’une inattendue réflexion amoureuse… (Mais, peut-on parler de « réflexion » en amour ?...)  Ce que je ne pouvais évidemment pas transmettre tel que à l’ami islandais (sinon en lui rédigeant tout un roman  y ajoutant un lexique d’explications…)  c’est qu’aux abords montagneux et plus que parfois arides de ma Méditerranée  j’avais vécu presque au même moment un sentiment d’une puissance qui laissait  le sexagénaire que je suis stupéfait quant à l’universalité de l’amour, sa foudre qui tombe sans avertir, ses sens kaléidoscopiques d’attentes et de projections quasi folles , douces sinon tendrement incongrues…
Un de mes propres poèmes du moment (premier jet de poème juste pour dire « la chose », n’est-ce pas, mais pas plus…)


« bien que ta ville haute
soit éloignée par tant de montagnes
pures
et oueds d’eau
rare 
ton souffle exhale des lèvres 
un étrange même mot
hamlakhkem 
hamlakhkem a tass a tass
extrait des herbes / sèches de l’histoire »

un rappel – mail…

« Cher ami,
Je me demandais si tu n'avais pas aimé mon recueil... Je serai heureux de voir le texte que tu écriras là-dessus à la rentrée.
Notre été en Islande est exceptionnellement ensoleillé. Nous ne demandons pas plus. Avec ma femme, Hulda, nous sommes rentrés hier après une semaine, d'abord chez mon ami et illustrateur, Sigurdur Thórir, dans le village de Hvammstangi, dans le nord du pays et ensuite dans la maison d'enfance d'un beau frère de ma femme dans l'île de Flatey dans l'ouest. Toujours sous un beau soleil, mais les températures ne dépassent pas les 20 degrés…. 
Amitiés, Thór »

« Ne médis pas du poète / Il fait ce qu’il doit »*

Le village de Hvammstangi, j’ai bien entendu cherché sur internet … 600 habitants. Situé à portée de voix du cercle polaire bleuté une partie de l’été mais que j’imagine intégralement  blanc le reste de l’année…
Serait-ce de là que l’illustrateur  Sigurdur Thórir a fait les dessins pour les poèmes de l’ami Thor ?... La tranquille nostalgie et fraicheur (comme on dit il fait frais) du dessin m’ont poussé à le croire. Le voilier, la mer aussi tout comme le sein nu accolé au cube et au cercle du songe. Son paradoxe… Le dessinateur a su exprimer au même titre que le poète par un horizon dont les verticales d’astres ramènent finalement au silence la douceur énigmatique du transport… Et ce n’est pas jeu de mots puisque le premier poème du recueil est bien plus centré sur la poésie elle-même que sur l’amour.

« La poésie est le plaisir suprême.
J’en brise l’écho. 
l faut s’y faire ».

Ce sont bien des mots que naissent les récits d’amour, leurs expressions innombrables, leurs extases, leurs questionnements à fleurets mouchetés ou presque …
Le poète Thor Stefanson ne dit-il pas:

« Si l’amertume du poète 
vient nous alourdir, 
si son génie nous mijote 
des tristesses,  de l’angoisse, 

que vaudra sa poésie
 face au soleil ?

Le poème sera ce voile de nuages 
qui bientôt sera chassé »

Et un second dessin est à extraire, à humer de très prés pour en compulser tous les sens..

« Notre victoire, / nous l’écrirons/ en rayons de soleil / sur la verticale des maisons »



Les fenêtres des bâtiments lâchent des larmes… Et les gorges amoureuses rutilent d’une chaleur dont le creuset de feu brûle sens dessus dessous la navigation couplée des vies…

« Nous sommes jeunes 
même si nous vieillissons 
Le temps ne bouge pas
Et qui peut parler d’âge
quand il s’agit de toi ? »

« Toi » : la compagne d’une longue vie, la fidèle, l’inséparable avec laquelle il éleva deux enfants… Et cela dit dans la clarté et la bonté du jour, de toutes les heures des jours…

« Et même quand la nuit tombe sur nous / Il fait encore jour »


Dans un précédent recueil…

Dans un précédent recueil, intitulé « Le carré vert du printemps » (Paris, 2013), Thor Stefanson écrivait :

« Je te veux :
Toute chaleur. 
Toute ardeur ? 
Toute chaleur

Je te veux :
Toute fraîcheur.
Toute froideur ? 
Toute fraîcheur.
Toujours la même – et toujours nouvelle. »

N’est-ce pas simple et directement sensuel venant d’un professeur de français et rédacteur en chef de dictionnaires français/islandais, qui  depuis son premier recueil publié en 1989 a à son actif une bonne vingtaine d’ouvrages de poésie dont un grand nombre de traductions ?... (Je suis tenté de mettre ici comme sur FB l’émoticone du pouce levé…).

Ceci étant on ne passera pas sous silence que Thor Stefanson a déjà réalisé en 2014 une anthologie de plus de 200 pages de la poésie contemporaine du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Lybie, d’Egypte, du Liban, de Syrie et d’Irak traduite en islandais (intitulé « l’humanité dans l’obscurité » ) avec une part belle faite à la poésie algérienne (20 poètes dont 4 poétesses cités).

« L’humanité dans l’obscurité »



Pour en revenir à « Dans ta lumière » (2016),  que dire sinon que ce petit recueil  d’une légèreté lumineuse invite au plus galant et agréable voyage. Qu’il se récite sans autre prétention que celle de l’amour de beau partage. Mon vœu ? (demanderez-vous alors)…
Mon vœu est de voir cet ouvrage vibrer ne serait-ce qu’un couple de jours aux vitrines et aux rayons des libraires d’Alger et des Hautes plaines céréalières. Lui et grand nombre d’autres ouvrages de cette Islande située en le Groenland et la Norvège ; une ile si méconnue de nos élites. Qui de nous a en effet jamais entrouvert les cellules de son cœur  aux chants d’Islande dont un de ses meilleurs proverbes dit simplement : « La terre est notre première mère à tous » ?....

Avec une part maitrisée d’illusion et d’espoir nous pouvons donc dire « A bientôt » 
à nos amis poètes d’Islande et même leur dire (l’écrire) en islandais : Sjáumst fljótlega!

Abderrahmane Djelfaoui

samedi 17 septembre 2016

Quelques images de l’accompagnement de Hamid Nacer Khodja à sa dernière demeure

Après sa sortie de la maison sous les yous yous stridents des femmes, le catafalque mortuaire fut d'abord transporté vers la grande mosquée Si Ahmed Bencherif au centre ville pour la prière de El Asser.


A la fin de la grande prière publique, le corps du défunt, toujours recouvert de l’emblème national, a été porté dans une marche qui à partir du boulevard Emir Abdelkader a traversé une grande partie de la ville sur plusieurs kilomètres. Cette même ville où Hamid Nacer Khodja, natif de Lakhdaria (ex Palestro), enfant et adolescent du quartier populaire de Salembier d'Alger, avait tenu à à consacrer plus de 30 années de sa vie humble et généreuse, de son labeur intellectuel rigoureux, de son énergie créatrice...




Sous un ciel serein et clément, la foule dense et silencieuse, s'est ensuite dirigée vers El Khadra le grand cimetière central de Djelfa, à travers les artères et rues de plusieurs quartiers (dont Bel ombrage) tout en enjambant un des ponts de l'oued de la ville.



Traversant de part en part le grand cimetière (où une partie est réservée aux chouhada), la foule se dirigea vers la tombe fraîchement creusée. 

Le catafalque est accompagné d'une grande feuille verte de palmier.

A quelques dizaines de mètres de là, de jeunes pompiers en casques et ceinturons, rendaient les honneurs


A fur et à mesure que la foule se rassemblait fraternellement autour de la tombe on remarquait outre les membres de la famille, de très nombreux amis d'enfance du défunt venus de son quartier de Salembier  d'Alger, d'autres venus de Chlef et d'Oran, de Médea, de Laghouat, etc. Des étudiants de l'université de Djelfa, des enseignants, des libraires, des hommes de culture ainsi que des membres de la wilaya et de la daira du Chef lieu.




Allah yerhmou ou i wassa3 3lih
Que Hamid Nacer Khadja repose en paix


Texte et photo : Abderrahmane Djelfaoui

mardi 6 septembre 2016

Ahmed Boualem dit « errais » : le festival amateur de Mostaganem est un fleuve ….

Avec Ahmed Boualem dans la grande salle de la maison de la culture
Ould Abderrahmane Kaki de Mostaganem
(photo Abderrahmane Mostefa)


Les fondateurs du Festival du théâtre amateur, trés jeunes hommes durant la guerre de libération, nous quittent un à un, laissant un patrimoine incommensurable, inattendu, foisonnant et plein d’espérances malgré toutes les avanies …
C’est un précieux hasard et un honneur  qui nous a permis de rencontrer l’un d’entre eux… Ahmed Boualem, un ancien SMA resté dans l’âme et dans le cœur un vrai scout. Très proche des fondateurs du festival, il est lui-même un des membres fondateurs gardant toujours  la simplicité et la clarté de l’âme scout … 

A l’occasion de cette édition  (nous dit-il d’emblée) on ne peut que saluer les valeureux fondateurs, parmi eux Si Djilali Benabdelhalim, Mekhlouf Belkacem,  Hadj el Mekki, Nait, les Boudraf ,  Cheref El Ghali, les Meflah,… C’est ce noyau qui a lancé le festival en 1967 en partenariat avec le Syndicat d’initiative du tourisme de Mostaganem ainsi que le Croissant rouge, les notables, les commerçants et la population.
Il y avait donc un terrain favorable à l’époque ?
Le terrain c’était les Scouts Musulmans Algériens, groupe El Fallah. Sa première réunion date de mars 1967 ; une réunion chapeautée par  le regretté Ould Nourine El Harag au groupe El Fallah de la Souiqa de Tigditt
Au cœur de la vieille ville.
Et comment !  C’est le terroir de Mostaganem. On l’appelait El Qahira., un nom qui a beaucoup de significations et une forte charge.  Quand on dit El Qahira, on dit El Kachafa, El Oulama, l’Espérance,  Echaabi, El Andaloussi,  Ezaouia El Alaouia. Tout ça ! Un mélange original.

El Qahira, ce qu’il en reste… Tigditt vue d’un de ses remparts… Le canyon en face, est celui de l’oued Ain Sefra qui fit une crue terrible en 1920. Aujourd’hui il est en chantier de rénovation après une disparition d’une partie importante de la vieille cité où naquirent les Kaki, les Khadda et tant d’autres (photo Abderrahmane Djelfaoui)

A partir de là (poursuit Ahmed Boualem) Si Djilali et ses compagnons ont évolué et mis le paquet pour faire exploser les idées qui avaient germé au sein du groupe. Si Djilali qui n’était qu’un simple chef d’équipe au niveau du cantonnement des ponts et chaussées de Ain Tedless, Allah yerhmou, avait été lui-même scout dans son enfance avec les amis de Kaki, Bouzid Mzaja,Benaissa Abdelkader , etc. Et quand Kaki s’est dirigé vers le professionnalisme, c’est Si Djilali qui a rassemblé les enfants du peuple dans des petites troupes comme El Guendouz, El Yasmina, El Emir Abdelkader, Omar El Hak, El Ittissal, avec les Haroun Ahmed, Mejdoub Abdelkader. Cela sans compter la troupe Nadjah de Mazagran qui avait créé la pièce Essoussa… 

Si Djila Benabdelhalimdont Kaki disait de lui : C’est « un animateur bénévole… Il forçait mon admiration pour son désintéressement et son amour pour la profession »…

Et votre souvenir du premier festival du théâtre amateur
Il a eu lieu dans le cadre d’une quinzaine économique de la commune de Mostaganem, en 1967. C’était le prétexte. Les troupes qui venaient de l’extérieur de la ville, comme la troupe de Baba Ali, celle de Mohammedia ou de Mascara jouait sa pièce et partait le lendemain. Ebq 3la Khir ! On ne pouvait pas les héberger, la subvention et la collecte qu’on avait fait atteignait 200 000 francs de centimes…Mais on remercie les mostaganémois pour avoir participé à construire le festival du théâtre amateur ; s’il existe c’est grâce à eux. Il fallait voir les représentations au stade Benslimane, avec d’un coté les femmes de l’autre les hommes. Les youyous !

Quand je voulus le photographier dans la cour de la maison de la culture Ould Abderrahmane Kaki, il tint absolument a se faire photographier avec les affiches représentant les pionniers... "Je suis des leurs"


Une atmosphère de fête.
Oui ! Au cinéma vous ne pourrez pas refaire cela ! L’esprit était au volontariat, à la solidarité. C’est à partir de là que Si Djilali, qui s’est dévoué corps et âme, a commencé à avoir de bons échos. J’étais son compagnon et son voisin avec Abdelkader Benmokdem, allah yerhmou. Chaque fois qu’il voulait bougeait il m’envoyait son fils lui disant « va voir ton oncle Boualem ». On prenait alors ma R4 et on allait ensemble….
A cette époque il y avait une fédération des scouts musulmans à Alger qui était présidée par le regretté professeur Mahfoud Kaddache.  Il avait été invité a participé à l’ouverture du festival. Il venait en nous apportant à chaque fois un petit soutien avec les cotisations des scouts.
Et sa contribution morale en tant qu’historien était importante.
Exactement ! Mais ce qui m’a impressionné ce fut la maitrise et la bravoure des scouts pratiquement debout H24 ! La réussite c’est quand on se rassemble et qu’on se dit : c’est terminé ?... Déjà ! Dés le premier coup d’envoi c’était positif.



D’un autre coté aujourd’hui les gens parlent beaucoup aujourd’hui d’Avignon alors que nous n’avions aucune idée à l’époque et au départ de ce que c’était Avignon.  Ce festival est né avec les seules possibilités d’ici. Ce n’est qu’avec le premier, puis le second festival, qu’ont commencé à apparaitre les idées avec la pratique puis les échos d’Avignon. Je pense d’ailleurs que le festival de Mostaganem est plus vieux que le festival amateur de Paris. C’est pourquoi Si Djilali gérait le festival d’après ses moyens. On avait cependant beaucoup de camarades journalistes qui étaient volontaires pour la réussite du festival. Je peux citer Bendimered, Kamal Amazit, Djemai, Moulay de Echaab, Arab le caricaturiste, Boukhalfa Amazit… C’étaient des enfants du festival. Et tous les participants mettaient la main à la pate pour l’organisation et le bon déroulement du festival.
On a changé les institutions organiques du festival à partir du moment  où la fédération des couts musulmans à été dissoute en 1970 ; de là est née la JFLN et le festival était sous la coupe du FLN. Puis le 19 mai 1975 ce fut l’UNJA. Désormais le festival est sous le  contrôle et la censure du FLN. Le festival est devenu moins spontané. On nous demandait : enlever ceci, ajouter cela ; apportez un peu plus de rire, de comique

[le journaliste spécialiste de critique d’art dramatique Kamel Bendimered écrivait courageusement à ce propos: «  « ... en 1970, il y eut quelques tentatives pour s'approprier abusivement ce que d'autres ont mis tant d'efforts à construire. Déjà l'année dernière, nous nous demandions si le Festival de Mostaganem deviendra national comme attendu et souhaité par tout le monde, ou s'il irait voguer sous d'autres cieux, pardon, d'autres yeux plus proches de la capitale, comme nous avons cru entendre ici et là. Les récupérations abusives, de tant d'abnégation, pour assister peut être ensuite à un enterrement sans fleurs ni couronnes, n'appellerons jamais notre silence ».]

Mais à partir de là aussi émergent les troupes théâtrales du mouvement estudiantin qui participent. A un moment donné elles feront 80% de la participation totale des troupes ! Le niveau monte. Les étudiants préparaient des pièces « boumba ! » comme on dit ; on disait d’eux « edradkiya ». Tout était représenté sur scène ! Et on ne trouvait pas une seule place de libre dans l’immense salle Afrique avec ses 1400 sièges…Une époque foisonnante puisque le festival a pu compter parfois jusqu’à 68 troupes de tout le pays avec quelques 500 à 600 participants, avec un colloque, à cette époque de la GSE, de la reforme agraire, les grands thèmes de l’heure. Et on allait vers le public. On sortait vers les villages socialistes
 Pour les grandes écoles du théâtre amateur, on avait l’école de Constantine avec Abdallah Hamlaoui. Il y avait celle de Saida avec Othmani. Oran. Le théatre des jeunes de Sidi Bel Abbes est venu une fois avec « L’os pourri », une pièce sur la délinquance juvénile ; avec Bessmicha Kadour. Quant à Omar Fetmouche on l’a accueilli avec sa petite troupe d’adolescents de Bordj Manaeil…A partir de là les gens étaient impatients de se retrouver à la prochaine édition. C’étaient vraiment des rassemblements de camarades, de fraternité, de solidarité et de retrouvailles, surtout quand les représentations avaient lieu en plein  air, comme el Halqa. On revient au Hawi…
Philosophie ? Quelle philosophie ?
Si Djilali avait créé un festival pour le théâtre amateur et il le restera. C’est sa vocation. Aujourd’hui on entend des choses insensées de la part de beznassiya, de maquignons et d’opportunistes qui se la ramènent dés que le festival arrive… Nous avons je crois le devoir de commencer à balayer devant nos portes. Nous devons penser en tant qu’algériens. Qui sommes-nous ?  Quelle est la personnalité du théatre algérien ? Nous ne faisons que débuter. Jusqu’au jour d’aujourd’hui ce festival est toujours SDF. Alors que ce festival n’a ni identité ni statut on voudrait se mettre à suivre des mirages à l’échelle méditerranéenne, européenne !  Rêver c’est gratuit, n’est ce pas ?. Puissions nous seulement rassembler nos propres enfants ce serait déjà beaucoup…Pour le moment rassemblons nos morceaux, après viendra le temps de parler de l’université, de parler de l’académie. Parce que dés qu’on parle ce type de langage on sort de l’amateur. Et moi en tant que Boualem je suis contre ce langage. Je tiens à ce festival continue à vivre dans les principes dans lesquels il est né, ceux de Si Djilali. C'est-à-dire qu’on va dans les caves et les bidonvilles chercher les troupes ; dans les maisons de jeunes ; dans les quartiers défavorisés ; dans les banlieues. Donner la chance à ces jeunes. Là se trouvent les bons sujets et la qualité. Chercher un théâtre populaire, c’est le théâtre amateur. Des fois le théâtre professionnel est jaloux de ce peux le théâtre amateur et que lui ne peux pas réaliser. El hamdoulilah.

Ahmed Boualem « errais » en compagnie de Abderrahmane Mostefa qui fut membre de la troupe de « L’art scénique » et aujourd’hui cinéaste de la mémoire…




Propos recueillis par Abderrahmane DJELFAOUI
Mostaganem août 2016

vendredi 2 septembre 2016

Capitainerie du Festival de Mostaganem : des problèmes, des souvenirs et (quelques) espoirs…

Quand je rentrais dans les bureaux du Commissaire du Festival National du Théâtre Amateur je trouvais Nouari Mohamed entouré de gens qui ne cessaient d’aller et venir, d’entrer ou de sortir, de lui passer des messages écrits ou chuchotés, d’attendre une décision de sa part…  Dans cet espace de moins de 15 mètres carrés où les portables n’arrêtaient pas de sonner, le Commissaire poursuivait une discussion avec la députée Mahyouz…

L’homme, d’âge mûr, (dont on m’avait dit qu’il était cadre financier à la retraite et ancien député à l’assemblée nationale) me paru immédiatement maitre de la situation. Un homme d’expérience et d’action. Sans plus de salamalec, il  me servit  lui-même un café à partir d’un thermos posé à coté de lui, et j’allais vite apprécier ses idées claires et son franc parler.

Mohamed Nouari, Commissaire du Festival National du Théâtre Amateur de Mostaganem

 J’ai une connaissance du Festival à tous ses étages, dit-il…

 « Pour ce qui est de mon parcours, dans les années 60 j’étais dans les SMA, les Scouts Musulmans. C’est ainsi que j’ai commencé en prenant des responsabilités dans la cuisine du festival où j’ai même participé à éplucher les pommes de terre et les légumes. Après cela j’ai eu des responsabilités dans l’hébergement des troupes, puis celles des achats. A partir de 1985 je suis devenu le second responsable de ce Festival durant 10 ans, ensuite son premier responsable durant 13 ans. J’ai quitté le festival durant 9 ans, un temps où j’ai été député puis je suis revenu. Donc ce n’est pas par hasard que je me trouve là puisque depuis mon enfance j’ai vécu le mouvement scout puis le festival depuis sa création à ce jour…
« Evidemment, il y a eu des années où on m’a marginalisé pour des raisons qu’on n’invoquera pas ici… N’empêche, je vis à fond ce festival. Quand à la vie professionnelle, les finances, c’est une formation qui m’a permis d’exercer des responsabilités pendant 13 ans dans le Trésor , et qui a pu servi ici.. Après le mandat de député, j’ai pris ma retraite, très jeune d’ailleurs. J’ai voulu me reconsacrer entièrement au festival parce que je me suis rendu compte que durant mes 9 ans d’absence rien n’avait aidé le festival à avancer. Au contraire, il a régressé  sur tous les plans. »



Où en est-on exactement aujourd’hui 49 ans après le lancement du festival ?...

« Je dirais d’abord que le théâtre amateur reflète un mode de vie de société. Il reflète ce qui se passe sur tous les plans dans la vie publique. Tout dans la société peut avoir des répercussions et des conséquences sur le mouvement du théatre amateur.
« Je dirais que le théâtre amateur aujourd’hui est malade. Le théâtre est malade qu’il soit amateur ou professionnel. »
Mais quel type de maladie, je demande.
« Les questions sont simples : Ya-til des productions ?... Quel est la relation avec le public ?... A-t-il fait des efforts pour aller vers son public ?... Pour aller vers des thématiques nouvelles ?... A-t-il gardé la place qu’il avait auparavant ?... Je ne pense pas… [Koul ouahed fe-echa3ba enta3ou, comme on dit]. Oui, et on va me répondre que c’est parce qu’il y a la concurrence de ’informatique, de la parabole et tant d’autres choses. Mais est-ce vraiment la raison ?... Je ne pense pas…
« Hier, nous avions un débat: dans les années 70 et 80 il y avait des dizaines de troupes. On a rappelé, pour ne prendre que l’exemple d’Annaba, qu’il existait dans cette ville plusieurs troupes. Aujourd’hui : aucune ! Abdallah Hamlaoui du GAC me confirmait hier aussi qu’on n’avait plus les troupes voulues à Constantine. Et je peux continuer à citer comme ça d’autres wilayate…Alors qu’on devrait avoir bien plus de troupes de théâtre amateur que dans les décennies passées.
« Autre élément de dispersion et de recul. Avant, le théâtre professionnel puisait dans le théâtre amateur. Tous ceux qui sont aujourd’hui dans les théâtres régionaux et le théâtre professionnel de quelle école sortent-ils si ce n’est du théâtre amateur ! C’est la base. Je cite les cas d’Omar Fetmouche, des frères Dekkar, d’Ali Abdoune, et, et, et… Le festival du théâtre amateur en est la pépinière ! Et c’est la seule formation sur le tas ! Pas uniquement celle de metteurs en scènes et de comédiens, mais aussi dans les différents métiers du théâtre, dans toutes ses branches technico-artistiques… Quand je dis que le théâtre est malade, c est d’ailleurs l’état de toute la culture…»

Omar Fetmouche, ancien animateur du théâtre amateur de Bordj Menaiel, devenu Directeur du Théâtre régional de Bejaia et aujourd’hui Directeur du Festival international du théâtre ; ici, avec Abderrahmane Mostefa (en casquette) lui-même ancien de la troupe Art Scénique de Mostaganem lors de la séance d’ouverture du festival sur la place centrale de la ville…


Un cadre juridique archaïque et étouffant..

« Je me rappelle que durant les années 80 le théâtre amateur était l’élément essentiel qui a permis l’existence de rétrospectives théâtrales en Algérie. De 80 à nos jours a-t-on pu faire une rétrospective de ce théâtre ? Et durant ces trente ans savons-nous combien de troupes ont totalement disparues ?... « Et si cette situation subsiste, c’est entre autre à cause du cadre juridique qui est très flou pour ne pas dire qu’il ne permet pas l’émergence de troupes neuves. Par exemple partout dans le monde on parle de théâtre amateur ou de théâtre professionnel, il n’y a pas de semi-professionnel ! Alors que dans notre pays les systèmes hybrides on les rencontre à tout bout de champ !
« Dans les années 80, la loi telle qu’aujourd’hui sur le mouvement associatif n’existait pas. La loi de loi de l’époque, celle de 1975 était presque une copie de la loi 1901 en France pour la création des associations. Une loi qui permettait l’éclosion des troupes. Et chose importante, il n’y avait pas à cette époque ces gens qui comme aujourd’hui veulent acheter tout le monde. Cet esprit, je m’excuse de le dire, c’est de la prostitution ! Ceux qui veulent prostituer tout le monde. Il n’y avait pas ça ! Puis nous n’avions pas beaucoup de moyens. Ce qu’il y avait avant c’étaient des gens présents par amour du théâtre. Des gens qui travaillaient dur. Il y avait une coordination entre les troupes… Aujourd’hui on dit qu’il y a 80 troupes, mais quelle est la relations entre elles ? Quelle est la relation entre ces troupes et le festival ? Quelle est la relation entre n’importe laquelle de ces troupes et les institutions culturelles ?...On en est arrivé à dire que le professionnel est devenu l’ennemi de l’amateur. Jamais ! Ils sont complémentaires et doivent se compléter…

« …il n’y avait pas à cette époque ces gens qui comme aujourd’hui veulent acheter tout le monde… » (Photo Mostefa Abderrahmane)

« D’un autre coté, si la loi d’aujourd’hui parle d’associations culturelles et politiques, elle ne parle pas du tout de coopératives, de compagnies de théâtre ou autre. Les gens ont tout simplement trouvé un système hybride, ils sont allés chez les notaires et on a ce qu’on a…
« Par ailleurs il y l’aide qui est octroyée à tort et à travers ! Il y a des troupes à qui on donne par exemple 50 000 DA et à d’autres troupes 8 millions de DA ! Sur quels critères ? Quelle base ? Est-ce parce que ce sont des associations maisons ou des troupes amateurs dont on récompense l’effort ?...Et comment faire la comparaison et la différence entre une troupe et une autre ? Il y a des déséquilibres. Ces troupes, dans l’état actuel, ne pourront jamais se concerter entre elles. Et puis il y en a quelques unes qui osent bchtara ou je ne sais quoi, tisser des relations en Europe, pour assister à des festivals ; alors que d’autres n’ont pas de moyens, n’ont rien, ne savent même pas utiliser internet, ils sont là dans la misère…Les décalages sont énormes,, énormes !
« Il y a un proverbe chez nous qui dit : LIKOULI ZA1MANOU RIJALOU. A chaque époque ses hommes ! Savoir s’adapter à chaque période, faire avec…Alors qu’aujourd’hui malgré internet et la parabole on continue à parler de tout et de rien à tout bout de champ ! [De façon inconsidérée]. Oui. La culture dans notre pays, où est donc sa place ? Quel effort est-on en train de faire ?...

Mais alors comment expliquer, en dehors de la question des moyens, la créativité et le foisonnement thématique humaniste et optimiste des troupes des années 70 et 80 ? Comment expliquer leur multiplicité et leur bonne humeur qu’on ne retrouve plus. Ni d’ailleurs la force, la simplicité et la sagacité liée aux grandes problématiques sociales et culturelles de l’époque?...

« Eh ben, ces derniers temps je me dis : les gens criaient contre l’époque du parti unique, de la dictature…Mais à la même époque il y avait beaucoup de troupes. Il y avait de la création. Il y avait des gens qui étaient pour et gens qui étaient contre. Il faut se rappeler qu’il y avait nombre de troupes comme « Le Proletkult » qui ne marchaient pas avec la Ligne ! Elles existaient ! Mais aujourd’hui où l’on parle de démocratie, il n’y a pas de troupes. Parce qu’on les a généralement prostituées ; celles qui peuvent faire un travail…
« Aujourd’hui alors qu’il y a énormément de lois, il y a pour moi un vide juridique. Même dans l’organisation du festival. [Vous avez de gros problèmes] Bien sur, parce qu’on me dit de nommer un Commissariat. Le commissaire nomme des gens mais je ne sais même pas combien de temps j’ai… [Le téléphone du commissaire ne cesse de sonner…] Il faudrait que je dispose au minimum d’un cadre juridique qui me permette de me sentir à l’aise, de faire une feuille de route [  en toute visibilité]…A toute politique ses moyens… On fait l’évaluation selon un plan de travail à réaliser. On peut relever quelqu’un que si il y a détournement ou cas grave…Je peux dans trois ou quatre mois ou juste après la clôture du festival partir, hakdha ! (comme ça)…Il n’y a pas cette pérennité. Généralement quand les gens viennent ils ne pensent pas à la continuité, à pérenniser une action déterminée…
« Aujourd’hui il y a 80 troupes à l’échelle nationale qui ont participé aux régionales et sur ce nombre 17 seulement sont venues au festival… C’est peu par rapport à ce qu’on peut avoir dans le cadre de la démocratie, dans le cadre des activités culturelles, dans le cadre de la liberté d’expression, d’action. On peut faire beaucoup de choses. On peut le faire ! Mais il y a un vide juridique …
« Dans les années 80 on allait vers le public, on écoutait et on s’écoutait. Et maintenant ?...C’est pour ça que j’ai dit au début que le théâtre n’est que le reflet de la société, telle qu’elle est…Regardez ce bureau où nous sommes ; c’est le bureau du festival après cinquante ans de festival ! Souvent quand je reçois un coup de téléphone d’un ministre ou autre, je suis obligé de sortir dans la cour afin que je puisse discuter dans la discrétion... »

Conférence critique et stimulante d’Ahmed Cheniki, journaliste, enseignant et chercheur universitaire. Il confronte les réalités du théâtre européen a la situation pauvre du théâtre en Algérie et dans le monde arabe... un théâtre populaire est il possible? Nécessite de nous sentir concernes par ce qui se passe dans le monde: Avignon un festival qui a fait depuis 1947 d'un lieu dit une grande ville internationale, Edimbourg, etc, etc...

L’Espoir multiplié par deux…

« Nous allons bientôt fêter 50 ans d’édition de ce festival. Avant, dés septembre, nous avons un plan de travail en deux volets. Le premier, on va faire un bilan objectif ; tirer les leçons de cinquante années d’édition en tirant des perspectives d’avenir ; on va évaluer sur tous les plans en essayant de faire participer le plus grand nombre de personnes…
« Il faut être optimiste dans la vie. Surtout dans notre pays [et malgré tout !] Bien sûr ! Parce que deux choses vous font soit avancer soit régresser dans ce que vous faites : ce sont l’espoir et la volonté.
Mais quelles perspectives concrètes voyez-vous ?
« Premièrement à la question de savoir quel mystère a pu faire vivre 50 ans ce festival, je vous répondrais : c’est la volonté des hommes. Leur amour pour cette action. Parmi ceux qui ont créé ce festival, le dernier d’entre eux, encore vivant, Hadj el Mekki, malade, j’ai vécu avec eux. Et beaucoup d’autres aussi ont vécu avec eux cette aventure. C’est dans le sang. Personnellement je ne peux pas dormir et laisser le festival, je m’excuse de l’expression, aller dans la boue!
Pour cette année j’avais visé deux objectifs
« Donner au festival une dimension académique d’abord. Parce que si 50 ans durant on a travaillé avec le sentiment, la passion, la nostalgie, il faut désormais une base scientifique,  académique. Une accumulation afin que l’université avec ses chercheurs venant sur le terrain puissent archiver le festival et donner des visions rationnelles sur les moyens à mettre en œuvre, les mécanismes, les méthodes d’organisation. Parce que notre organisation est, je pense, aujourd’hui archaïque. Que bon nombre de troupes sortent du minimum d’instruction dans lequel elles se trouvent…Le contraire : des professeurs d’université font des recherches sur le théâtre sans être jamais monté une fois sur les planches ; sans savoir ce que c’est… J’aimerais que tous les universitaires, les chercheurs, les journalistes, tous ceux qui peuvent apporter ne serait-ce qu’une petite pierre soient présents dans cette grand activité. Aujourd’hui nous signons une convention avec l’université de Mostaganem où sont définis les rôles respectifs de l’université et le notre en tant que festival. Dans une année ou deux nous évaluerons ce travail..
« Le deuxième objectif  est d’internationaliser le festival. [le faire confronter aux autres expériences au-delà de nos frontières] Bien sur ! Je revendique l’esprit amateur et je veux que ce festival le reste. Je voudrais qu’il y ait des échanges d’expériences avec d’autres festivals qui ont lieu un peu partout dans le monde. Il faudrait qu’il adhère aux institutions internationales du théâtre amateur dont il ne fait pas partie du tout ! Que nos troupes aillent ailleurs ; que d’autres troupes viennent.
« Si en lançant ces deux actions, en les faisant vivre sur le terrain, on en tirera certainement d’autres visions que celles d’aujourd’hui. Voir plus clair.
« Je suis quasiment sur qu’avec l’évaluation de ces cinquante années, les perspectives viendront d’elles mêmes ! »
Et concernant l’énorme question du public, quelle perspectives ?
« Il faudrait qu’on aille vers le public. En septembre nous allons faire peut être une rencontre sur la politique du théâtre amateur. Parce que je ne comprends vraiment pas comment une troupe ayant réalisé un produit le joue une seule fois en attendant que le public vienne à elle. Il faut aller dans les communes. Ils n’y vont pas. Il n’y a pas de tournées. Il faut aller vers le public, que les troupes soient amateurs ou professionnelles. Il faut aussi faire un bon produit. Du coté du festival, la question est de savoir si les méthodes d’organisation qui prévalent jusqu’à ce jour doivent continuer… Une multitude de questions se posent. Posons les chacun à sa manière….

Les nécessités de travail, de réunions, de multiples décisions à prendre  et surtout de préparation de la clôture du festival dans les meilleures conditions étant telles, nous n’avons pu poursuivre cette instructive interview. Partie remise, comme on dit…



Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui
Ecrivain et cinéaste