vendredi 10 juin 2016

Daoud Mohamed Saddek (1ère partie) . L'artisan en décoration traditionnelle et enluminure se souvient des années de jeunesse à la Casbah d’Alger

C’est à  quelques encablures des belles plages de Ain Taya que je suis allé à la rencontre de Mohamed Saddek Daoud.

Cet artiste-artisan humblement dévoué à l’art traditionnel algérien de l’enluminure et de la peinture sur bois est né à la Casbah d’Alger. Il a aujourd’hui 83 ans. C’est le miniaturiste Ali Kerbouche qui m’en avait le premier parlé et indiqué qu’il fut à la fois le voisin de quartier de Mostefa Bendebagh et l’un de ses premiers élèves. Daoud commença en effet des études d’art au début de la guerre de libération. Prés de vingt ans plus tard, en 1973, il est membre de l’UNAP ainsi que  de l’Union des Artistes Arabes et participe à plusieurs expositions collectives aussi bien en Algérie qu’en Tunisie, au Maroc, au Koweït, en France, en Belgique... En Mars 2012, il obtient le 1er Prix d’encouragement  au Festival International de l’artisanat et de l’Innovation à Mascate, à Oman…

Cet artiste-artisan humblement dévoué à l’art traditionnel algérien de l’enluminure et de la peinture sur bois est né à la Casbah d’Alger. Il a aujourd’hui 83 ans. C’est le miniaturiste Ali Kerbouche qui m’en avait le premier parlé et indiqué qu’il fut à la fois le voisin de quartier de Mostefa Bendebagh et l’un de ses premiers élèves. Daoud commença en effet des études d’art au début de la guerre de libération. Prés de vingt ans plus tard, en 1973, il est membre de l’UNAP ainsi que  de l’Union des Artistes Arabes et participe à plusieurs expositions collectives aussi bien en Algérie qu’en Tunisie, au Maroc, au Koweït, en France, en Belgique... En Mars 2012, il obtient le 1er Prix d’encouragement  au Festival International de l’artisanat et de l’Innovation à Mascate, à Oman…

Daoud Mohamed Saddek à son domicile (photo Abderrrahmane Djelfaoui)

Mais avant d’en venir à sa formation dans les arts traditionnels  ainsi qu’a l’amitié respectueuse qui le liait fortement à Mostefa Bendebagh, à Mohmamed Temmam et à d’autres artistes algérois, nous avons inciter notre hôte à aller vers les lointains souvenirs de sa jeunesse à la Casbah, et cela devant une table bellement servie pour le café… 
Car peut-on comprendre aujourd’hui l’essence d’une vie presque entièrement consacrée à la décoration traditionnelle sur bois (coffres à mariées, coffrets à bijoux, miroirs, berceaux, petites tables, étagères), poteries (derbouka, bokala, qol….) et enluminure sans que l’on ne prenne d’abord en compte ce qu’était la vie publique et domestique de ces objets dans la vieille cité populaire, industrieuse et rayonnante malgré les adversités qu’était la Casbah ?...

Mohamed Saddek Daoud n’a pas l’habitude de se mettre au-devant… Il sourit, serre et tourne une main dans l’autre puis se met peu à peu à parler…. « Je suis né en 1933 à la casbah, pas loin de Sidi Abderrahmane. Mon père avait là une maison. J’ai d’ailleurs été à la garderie d’enfants du jardin Marengo, qui se trouvait sous Sidi Abderrahmane, en 1937-38 avec ma sœur. J’ai fait aussi l’école primaire au haut de la rampe vallée, ainsi que l’école coranique avec ses planchettes à écrire à la rue de la Casbah… »
Et comme s’il retrouvait soudain l’espièglerie enfantine à plusieurs décennies de distance, Mohamed Sadek sourit à l’évocation de laver à l’eau leurs planchettes, hors de la classe et de la vue du cheikh. Les gamins en profitaient alors pour allonger au maximum ce temps de récréation, question d’être loin de toute récitation…
Pour comprendre, il faut effectivement avoir vécu ces moments d’enfance où il fallait aller très tôt matin à l’école coranique avant de se diriger ensuite, à l’heure précise, vers la cour de l’école « française »…

Une école coranique  (photo APS)


 « Puis notre famille est allé habiter une maison au quartier de Sidi Ramdane, en haute Casbah, un peu plus haut que le lieu dit El Koudia . Derrière chez nous, il y avait la fameuse école Brahim Fateh où mon père avait fait ses premières classes. Notre maison était mur à mur avec celle du miniaturiste et enseignant d’arts traditionnels  Mostefa Bendebagh et de sa famille que j’ai bien connu…
Jeune je rencontrais souvent prés la maison de  grandes personnes connues et respectées parmi lesquelles El Ankis ou Momo (Himoud Brahimi) habillé de vêtements traditionnels et son éternel petit couffin à la main… Il y avait un peu plus bas que chez nous la famille d’Ahmed Hocine (qui deviendra le directeur de la Cinémathèque algérienne, mais n’était qu’étudiant au lycée Guillemin alors) et sa jeune sœur Baya Hocine que j’ai connu toute gamine durant la seconde guerre mondiale avant qu’elle ne soit emprisonnée à Serkadji durant la guerre de libération malgré qu’elle soit mineure … »



Chaque maison de la Casbah vivait d’entraide et de solidarité.

« Pour la plupart des casbadjis de cette époque, vivre à la Casbah c’était vivre en famille dans une grande pièce, une grande chambre.  Il y avait bien sur des différences de moyens d’une famille à une autre, mais dans la plupart des maisons trônait au fond de la pièce familiale le « bonk el qobba », un lit élevé sur pieds, avec une coupole recouverte de tissu. Le lit de fer forgé était doré ou argenté. Sous ce lit, existait un grand espace qui faisait office de dépôt. Par exemple quand la famille avait fini de manger, on enlevait « la meida » (ou la « skampla », autre table basse, octogonale) pour la ranger sous « bonk el qoba » ; on dégageait comme ça de l’espace. Le lit était surélevé d’à peu prés un mètre cinquante. Dessous  il y avait donc tout un volume pour le rangement domestique.  A l’époque, faut-il le rappeler, on ne vivait pas dans des appartements.  Dans chaque douéra ou dar 3rab, il y avait au grand maximum pour chaque famille deux pièces pour vivre. Mais la plupart des gens vivaient en famille dans une seule pièce. C’est comme ça qu’on sortait la « meida » quand des gens venaient en visite à la maison. On la mettait au milieu de la pièce ou dans la courette. Une fois les invités partis, la « meida » et les ustensiles lavés et séchés repartaient sous le lit de fer forgé… »

« Bonq el Qoba », Dar Khdaouj El Amia. Au printemps les femmes en repeignaient le fer forgé d’or ou d’argent et refaisaient le matelas de laine et les broderies de la décoration. (Photo Abderrahmane Djelfaoui)


« Pour ranger d’autres affaires la pièce était pourvue de niches creusées dans les murs, dans le style mauresque.  Une petite étagère en bois coupait la niche vers le haut. Puis il y avait énormément de cuivrerie. « En-nhass », comme on disait. La plupart des ustensiles ou objets de décor étaient en cuivre. Les jeunes filles de la maison les astiquaient au moins une fois par semaine, ce qui s’appelle astiquer comme il faut!..

Jarre en cuivre . « Ecoute ce chant de cuivre ciselé »,
 Ecrivait le poète Bachir Hadj Ali natif de Bir Djebbah


« La cuisine était un espace extérieur à la pièce, dans la cour « El Mrah » qu’on se partageait en commun où il y avait les ustensiles, le « kanoun » (petit four à charbon en terre cuite) qui donnait à la nourriture un excellent gout parce qu’elle y cuisait à petit feu. Il y avait aussi un petit fourneau à pétrole, qu’on pompait. Pour revivre tout ça il faut revoir la série de films télé «Dar Es-Bitar » …

Dar Es-Sbitar est une adaptation feuilletonnesque à la télévision faite en noir et blanc et parlé en algérien par le réalisateur Mustapha Badie d’après le roman de Mohamed Dib qui relate des évènements de 1939 …
« Au mois de Chaabane, avant chaque ramadhan, tous les habitants de la maisonnée se réunissaient pour lancer le blanchiment des murs. Et cela dans chaque maisonnée du quartier, ensemble. Mais le travail de blanchiment à la chaux était fait par les femmes elles mêmes. Les couleurs étaient soit le blanc, le vert pâle soit le bleu nylé… Cela pouvait aussi se faire à l’occasion de mariages  et c’étaient toujours les femmes qui chaulaient la maison, la buanderie  et la terrasse. Pour ces évènements comme pour toute fête ou toute nécessité sociale, l’action est menée dans un mouvement  d’entraide des gens de la maison et des voisins. On ne faisait presque rien seul. Tout se faisait en commun. Par exemple, c’était un point d’honneur de la famille ou même des voisins que d’aller célébrer des mariages de leurs parents ou de parents de leurs voisins dans la lointaine campagne (Metidja, le Sahel, ou plus loin encore) tant forts étaient les liens humains entre les gens. Aujourd’hui on se contente de se souhaiter familialement Saha 'Aidek par SMS…

« Pour ce qui est du bien vivre, je me souviens bien de la « mracha », objet à main fait pour asperger les invités avec du parfum qui servait à mettre quelques gouttes de l’eau de fleur d’oranger dans le café…
« Les niches servaient aussi à y mettre une gargoulette, « qolla » ou « qlilla » au frais. On les décorait de poteries, de vases, de récipients en céramique. Je vous l’ai déjà dis, Mostefa Bendebagh travaillait  la surface de ces gargoulettes avec du jus de caroube (« el kharroube »). Avec ce jus il traçait des dessins d’abord invisibles, mais quand l’objet d’argile était plongé  dans une bassine d’eau,  apparaissait alors de jolis dessins de couleur verte…. C’est qu’on n’avait pas à l’époque de frigidaire. Sinon la « qola » était recouverte d’un sac de jute ou de chiffon.

« Kola », décorée par Mohamed Saddek Daoud
(extrait du catalogue collectif d’hommage à Mostefa Benfdebagh)


« Les étagères ou « mestra » : est un élément   décoratif et fonctionnel. Que ce soit à l’entrée ou à l’intérieur de la pièce ces supports sont destinés à recevoir des objets tels que cuivrerie, vases, quinquets ou chandeliers que les gens aimaient beaucoup …Le bois de ces étagères pouvait être simplement ajouré, sculpté ou joliment peint.
« On trouvait ainsi de petits et grands plateaux de cuivre en série : « sniouate ». Il pouvait y avoir un poste TSF à l’ancienne mode couvert d’un napperon brodé « b-chbika ».

Etagère finement décorée par Mohamed Saddek Daoud, accrochée au mur de son salon (Photo abderrahmane Djelfaoui)


« Le pourtour du sol de la pièce était recouvert de banquettes en bois sculptés ou décorées. Elles servaient de salon dans la journée et de literie la nuit. Elles étaient décorées de coussins brodés (les femmes brodaient beaucoup, point de croix, etc, etc) ; sinon le sol était recouvert de peaux de mouton. C’était comme des fauteuils ; s’y assoir et y passer du temps était un vrai plaisir. Ces peaux provenaient des bêtes du sacrifice de l’Aïd El Kbir, etc. On les lavait, on les séchait sur les terrasses ; elles étaient récupérées.
Au mur, il y avait des tableaux, avec l’évocation de Dieu « Allah », ou du Prophète « Mohamed ». Il y avait aussi à cette époque dans presque toutes les maisons « El Bouraq », la monture mythique sur laquelle le Prophète était monté au ciel. C’était un tirage qui se vendait beaucoup et que les gens aimaient.



Image traditionnelle représentant El Bouraq, cheval mythique (photo Abderrahmane Djelfaoui)



« Ceux qui pouvaient se le permettre avaient un tableau de calligraphie. Il y avait aussi une photographie souvenir du grand père ; on avait le respect de l’aïeul… Eventuellement un certificat d’études, encadré était exposé. C’était quelque chose d’avoir atteint le certificat d’études pour un indigène ! D’autant plus que les filles ne dépassaient jamais les classes du primaire. Elles restaient à la maison en attendant le mariage en faisant de la broderie et en préparant leur trousseau, leur dot. Les femmes travaillaient énormément : ce sont elles qui faisaient les tricots ou chandails, qu’on n’achetait pas. Elles faisaient « mhirmet el ftoul », foulards filés… Il y avait par ailleurs toujours dans les maisons de la Casbah, une machine Singer. On entendait toutes les après midi les femmes pédaler leur machine à coudre : la chemise du garçon, de la fille et même du mari ! Les gens n’étaient pas suffisamment aisés. Il y avait une sorte d’autosuffisance. Même si le linge était vieux, parfois rapiécé,  il était propre et bien repassé…. Je me souviens que les juifs qui habitaient la basse casbah ou Djamaa Lihoud allaient comme nous au hammam ; ils parlaient l’arabe qu’on parlait. Il y avait aussi bon nombre d’humbles européens qui étaient venus s’installer là suite à la guerre d’Espagne…

 « Pour en revenir aux intérieurs de la Casbah où les hommes étaient absents toute la journée, y laissant les femmes, les jeunes filles et les enfants, il faut savoir que les pièces étaient décorées par des  rideaux et des tentures en bon nombre à la porte, à la petite fenêtre comme sur le lit principal, « bonk el qoba ». Ces pièces étaient délicieusement silencieuses. Les femmes, après le déjeuner, l’apres midi, se rencontraient sur les terrasses qui donnaient pratiquement les unes sur les autres et à partir desquelles on avait une vue superbe sur la baie d’Alger, son port, les mosquées, les mouettes…
« Je me souviens surtout des pots de « Hbaq », de basilic. Toutes les maisons, tout le monde en avait au moins un pot qu’on mettait dans un coin »…

Vue sur l’est d’Alger, son port, sa baie à partir d’une terrasse de la Casbah (Photo Abderrahmane Djelfaoui)

Bien sur, même si Mohamed Saddek Daoud ne le dis pas directement, ou préfère même le taire, il sait d’expérience que la vie d’alors pour lui, ses parents comme pour ses voisins n’était pas toujours une partie de plaisir. Aujourd’hui non plus d’ailleurs. Mais l’artisan décorateur et enlumineur qui continue à travailler et peindre à son âge vénérable dans son appartement de Ain Taya ne veut retenir de cette époque révolue que l’atmosphère de bonne entente et de bienveillance humaine, réelle, simple et chaleureuse.


Abderrahmane Djelfaoui
(à suivre...)

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