mercredi 8 juillet 2015

Débat sur le patrimoine immatériel de la lutte de libération nationale

Le centre culturel de la wilaya d’Alger sis au 38 rue Didouche Mourad a organisé ce ramadhan un cycle de soirées de conférences, d’entretiens et rencontres autour des questions du patrimoine  culturel et artistique national qui aurait en principe dû émerger mieux et avec force depuis la lutte de libération nationale.

Cette activité plurielle débuta avec la remise des prix de la meilleure poésie (arabe, tamazight et français) remis symboliquement aux lauréates et lauréats lors de la Journée de l’Artiste.
Puis une belle et pertinente conférence avait été donnée le lundi 3 juillet en soirée par le musicologue Abdelkader Bendamèche sur l’itinéraire de la chanteuse Fadhila Dziria à l’occasion du 98 ème anniversaire de sa naissance (25 juin 1917 - 6 octobre 1970 à Alger). Cette superbe évocation était accompagnée d’une exposition de photographies en noir et blanc agrandies et encadrées de la célèbre chanteuse avec son sourire épanoui, prises au fil des années tant sur les plateaux de la télévision que lors de concerts publics ou à l’occasion des multiples tournées en Algérie ou à l’étranger qu’elle faisait avec différents artistes avant comme après l’indépendance.


Le talent de l'orateur, musicien lui-même, aura été de montrer comment, dés la période de l’entre-deux guerres mondiales, Fadhila, encore adolescente, fut l'élève et la continuatrice de la grande M'elma Yamna la première artiste femme respectée et aimée par le grand public de son époque.... Le conférencier expliqua avec beaucoup de détails et d’anecdotes savoureuses comment Fadhila bénéficia lors de sa carrière ascensionnelle (partagée avec Meriem Fakaï) des précieux conseils de la part des Ababssa, Skandrani, Mustapha Kechkoul  ou, surtout, du grand Bachtarzi dont elle était comédienne dans la troupe qui sillonnait alors l'Algérie coloniale....

Abdelkader Bendameche accompagnée de la poétesse Fouzia Laradi


Questions sur le présent et l’avenir

Cette conférence fut suivie lors des Mercredis du Verbe par un atelier d’écriture de femmes (« Femmes ici ou ailleurs »),  « dont les résultats, inattendus, souvent durs », nous dit sans fierté la responsable du Centre, n’en ont pas moins été édités en un livre collectif par Dar El Ibriz.

Lundi 6 juillet, la soirée aura été quant à elle, dans la foulée du 53ème anniversaire du jour de l’indépendance, consacrée à une évocation des figures majeures de la poésie féminine emprisonnées à Serkadji-Barberousse durant la terrible « Bataille d’Alger ». Parmi les héroïnes citées par nous-mêmes en tant que conférencier, il y a les Zhor Zerari, Anna Gréki, Annie Steiner, Fadhila Dziria, Zakia Khalfallah, Hawa Djabali¸sans oublier Jacqueline Guerroudj (inhumée il y a cinq mois à El Alia) qui consigna nombre de faits et d’analyses de leur vie carcérale dans « Des douars et des prisons ; un livre d’ailleurs préfacé par Abdelhamid Benzine qui écrivit lui-même « Lambèse », un livre de terribles souvenirs sur ce que fut l’incarcération dans sa version la plus atroce lors de la guerre de libération nationale…


L’objet de la conférence n’était pas juste de relater des faits mais surtout de poser quelques questions fondamentales dont l’une d’elles, terribles mais incontournable est : comment des jeunes femmes qui n’avaient pas dépassé l’âge de 24/25 ans, dont certaines étaient même mineures, emprisonnées, entassées dans des cellules de la façon la plus humiliante après avoir connues les affres de la torture aient pu ressentir la nécessité d’écouter, de lire, d’écrire et de transmettre de la poésie ! Et quelle poésie !

Aussi l’intérêt principal du débat qui suivit et auquel participait aussi des moudjahidate (dont Zoulikha Bekkadour auteur de « Ils ont trahi notre combat »), des hommes de théâtre, du Chî’r el-melhoun, etc,  aura été de soulever et discuter avec franchise l’état « de mise au placard » de ce riche patrimoine poétique féminin pourtant d’une brûlante actualité.

Anna Gréki n’avait-elle pas écrit dans « Bonheurs interdits » :

« Pas un poisson ni d’eau
Pas un oiseau ni d’arbre
Mais le ciel qui s’éloigne
Plus haut que nos regards…

Pas un silence seul
Pas un ilot d’absence
Mais des poignets sans montre
Et des yeux sans paupières…

Le silence étanche sa
Soif au sommet de ces
Murs oppressés et sur
Nos yeux levés se dresse

Opulente de joie
De mnaces de paix
La manifestation
Des libertés saignées »

Elle qui écrira prés de cinq ans plus tard « El Houria », en juillet 1962, à Alger, avec des vers qui résonnent encore de façon si respectueuse et dense en nous…

«  .... Hors de la matrice énorme de la guerre
Tu nais dans un soleil de cris et de mains nues
Prodiguant des juillets moissonneurs et debout

« Nos morts qui t'ont rêvée se comptent par milliers
Un seul aurait suffit pour que je me rappelle
 Le tracé des chemins qui mènent au bonheur

« Les champs de tendre chair se taisent apaisés
Nos morts rendent la terre au soc frais des charrues
Et dans tes veines bat la flamme de leur sang... »

Et de Zhor Zerari  ce poème extrait de « Poèmes de prison »:

« ….Fermer les yeux
Oublier les murs et les grilles
Vivre un moment sans eux
Béatement écouter les trilles
D’un oiseau éperdu
Ivre d’air et de liberté
Qui prés de la grille s’est perdu
Pour nous rappeler la liberté… ».

Un livre d’ailleurs présenté et illustré par Jeanne Maris Francès aux éditions Abderrahmane Bouchène.

Ou encore Annie Steiner gravant à jamais dans nos mémoire ce sinistre 11 janvier 1957 en écrivant :

« … C’était un matin clair
Aussi doux que les autres
Où vous aviez envie
De vivre et de chanter.
Vivre était votre droit
Vous l’avez refusé
Pour que par votre sang
D’autres soient libérés….

« Ce matin ils ont osé,
Ils ont osé
Vous assassiner.

« Que vive votre idéal
Et vos sangs entremêlés
Pour que demain ils n’osent plus
Ils n’osent plus
Nous assassiner »

Cette éminente problématique de la créativité artistique féminine contemporaine fit intervenir les moudjahidate sur les dernières et tristes disparitions des unes et des autres sans que justement on n’ait encore en vue la possibilité d’une solide passerelle entre ces fières figures de la guerre de libération nationale et les jeunes générations pour la compréhension et la prise en charge d’un legs aussi précieux. On rappela à ce titre que des femmes de cette génération sont les auteures de très nombreux ouvrages de témoignages ou de créations artistiques qu’il est indispensable de remettre à jour et à disposition du plus grand nombre de collégiens et de lycéens… Parmi tous ces livres on n’oubliera pas de citer avec  respect « espoir et parole / poèmes algériens » recueillis par Denise Barrat aux Editions Seghers en 1963.


Ces constats  critiques justes n’empêchèrent nullement de soulever passionnément la question, par exemple,  du rapport entre le grand dirigeant Abane Ramdane et le grand poète Moufdi Zakaria, emprisonné également à Serkadji, tout comme le poète Laadi Flici et d’autres, pour la création de l’hymne national Kassaman… Un épisode historique remarquable et fort qui pourrait à lui seul alimenter la production de plusieurs films historiques, de plusieurs émissions de télé, d’innombrables conférences universitaires, d’enquêtes de presse, etc….

Dernière remarque d’intérêt, l’assistance ne manqua pas durant ce débat d’intervenir sur le processus somme toute bénéfique d’internet et même de facebook dans certains de ses aspects pour la diffusion, même si encore restreinte, de ce patrimoine national non recensé, mal connu, mal aimé… Mais cela est déjà une autre histoire…


Abderrahmane Djelfaoui


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