mardi 24 juin 2014

De Tiaret à la Casbah : Amar Belkhodja va sur les pas de Himoud…


A la mémoire de Abderrezak Hellal


« L’aventure méritait d’être tentée. Le G’zoul, jaloux du Djurdjura ; enjambe alors le Sersou, ce grenier méconnu de Rome, trompa la vigilance du Zaccar, renfermant la perle Miliana, fit un clin d’œil à la prestigieuse Mitidja des héroïques Hadjout, et alla se promener humblement aux pieds  de la déesse Casbah dans l’espoir de disputer le charme de l’élue de toutes, la disputer à l’esprit de tous : Himoud Brahimi, l’éternel Momo qui nous quitta un certain 1er juin 1997 ».
  





Ainsi commence la présentation –s’égrenant sur une cinquantaine de pages-  que fait Amar Belkhodja quant au petit trésor poétique du chantre de la Casbah ; un trésor éparpillé aux quatre vents des mémoires et que l’ami tiarti a patiemment recherché, collationné, identifié, mis en ordre pour être enfin mis à la disposition du plus grand nombre par ce livre tout aussi béni que ses poèmes, - le troisième du genre sur les écrits et la poésie de Himoud Brahimi  que publie l’auteur-chercheur.




Mais comment donc ce journaliste chevronné qui s’était spécialisé dans la mise en lumière des grands faits et noms de l’aventure nationaliste du XXème siècle en est-il (soudain ?...et par quel déclic ?...) venu à s’intéresser de façon aussi soutenue sur une figure longtemps controversée de la scène algéroise ?...
« Je n’arrive pas à me l’expliquer, répond-t-il tout de go…. Je n’ai en fait rencontré Himoud Brahimi qu’une seule fois, à la Cinémathèque de Tiaret, en 1986-87, avec  Mohamed Chouikh qui venait tourner son film « La Citadelle » et qu’accompagnaient le chanteur Aïn Tedeless et le cinéaste Mohamed Bouamari…

« Et lors de cette seule et unique rencontre,  Himoud Brahimi eut un rire inoubliable, un rire saccadé, personnel et prolongé dans le temps que je n’ai jamais connu par ailleurs de toute ma vie … Il m’avait aussi  frappé par sa stature, par sa diction et sa culture…
« Puis je l’ai un peu oublié jusqu’à ce que je l’entende de loin à la radio, lors d’une interview fleuve de onze heures à minuit que lui faisait Leila Boutaleb sur la Chaine 3…  A partir de là le travail de recherche sur son œuvre n’a jamais cessé de me préoccuper…»

*


Un Sésame du cinéma : TAHYA YA DIDOU.   


« Zinet le connaissez vous ?
Zinet est un clair obscur qui ressemble à l’endroit où il est né.
Ce clair obscur se rapproche davantage du GRECO ;
Qu’il ne s’en éloigne de REMBRANDT.
Sinueux comme une enluminure de Omar RACIM.
Volontaire comme une métaphore de ISSIAKHEM.
Rêveur comme le ciel gris de RUYSDAEL.
Impétueux comme une colère de GOYA.
Zinet est un mult iportrait qui véhicule une multitude d’impressions se chevauchant en ordre libéré.
Ce clair obscur qui aussi le seuil où se noua sa première respiration à la vie,
C’est le clair obscur de Bir-Djebbah.
Bir-Djebbah c’est la goutte de miel
Qui capte le soleil pour un accouplement accompli.
Bir-Djebbah c’est le regard envahi de lumière de Zinet ;
Jusqu’à en être aveugle et aveuglé.
Zinet c’est un visage d’adolescent
qui porte les traces d’un cœur lourd.
Un cœur où l’histoire de son pays est accrochée à chaque globule qui l’anime.
A chaque fois qu’on le rencontre il donne l’impression de sortir d’une grotte enfumée.
Son corps est comme un manipulateur de sensations où chaque pore transmet sa réverbération au cerveau.
C’est comme cela que Zinet à imaginé et construit son film.
Ce film que vous allez voir : ce film qui chante le cantique de l’amour de l’Algérie retrouvée : ce film est son film.
Que d’années cumulées.  Que d’expériences vécues.
Que de remords jugulés. Que d’exaltations mues.
Que de désespoirs étranglés. Que d’espérances vues.
Le calvaire de la nuit pour celui dont l’imagination déborde d’images.
C’est un supplice lancinant dominé par le cosmos.
A l’instar de Christian ROSENCREUTZ les noces chimiques de Zinet
C’est à travers TAHYIA YA DIDOU qu’il les a traversées »

(poème des années 70, mais non daté)

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On le sait : Himoud Brahimi  fut un fervent cinéphile du muet puis du parlant au cinéma « La Perle » au haut de la Casbah et cela de son enfance à l’âge d’homme… On le sait aussi : il fut très tôt comédien de théâtre avec Mahieddine Bachtarzi et comédien de cinéma notamment dans le « Les puisatiers du désert » de Tahar Hannache (1952) avec Djamel Chanderli et Habiba… Ce que l’on sait moins par contre de cet ami proche de Simone Signoret, c’est que son statut d’indigène musulman ne lui permit pas d’aller au-delà de petits rôles dans le cinéma français… Lui qui n’en avait pas moins battu le record du monde de nage en apnée de 5 minutes 45 secondes à Paris, 1948, à la piscine de la Butte aux cailles … Il faudra attendre 1971 pour le voir rayonner au sens matériel et spirituel du terme dans TAHYA YA DIDOU (« Alger insolite ») aux cotés d’autres illustres maitres de l’époque tel George Arnauld auteur du « Salaire de la peur », « Les aveux les plus doux », « Pour Djamila Bouhired », etc……
Ce que l’on sait encore moins et que nous devons au travail désintéressé et méticuleux de Amar Belkhodja c’est qu’au sein même de la Casbah aux 130 saints, Himoud Brahimi a pensé et aussi rédigé  une œuvre de spiritualité : « L’IDENTITÉ SUPRÊME », ouvrage remarquable de 80 pages, dense et inattendu, qu’il finit par publier sur les conseils pressants de Pierre Bourdieu  en pleine guerre d’Algérie, en 1958, à Alger, Chez l’éditeur algérois Edmond Charlot…
Ce même Edmont Charlot qui interviewé  en 2003 (a 88 ans) fera ce témoignage à Çaliha Brahimi (pour le livre commun : « Tahya Momo » qu’elle réalise avec Djamel Azzi) :
« Himoud Brahimi était un bel homme, il a servi de modèle à des artistes peintres, dont une académie de peinture, dont il était le Modèle. Il était comédien en arabe et en français. Je réalisais beaucoup d’expositions qui attiraient beaucoup de monde, notamment le Cardinal Duval, le Représentant du Consistoire Juif et le Mufti. C’était extraordinaire, ils venaient tous à la librairie [rue Charras]. C’était marrant, si l’exposition était programmée à cinq heures, ils étaient tous là bien présent à l’heure et je voyais en même temps le Cardinal, le Mufti, le Représentant du Consistoire Juif, et Himoud Brahimi faisant la conversation avec eux ! »
 



« L’IDENTITÉ SUPRÊME », un livre à propos duquel Amar Belkhodja me fait l’aveu que l’autre fille de Himoud Brahimi, Douja, qui habite Lille et lui-même ont dû contribuer chacun d’une somme de 50 000 DA afin que ce travail puisse être, 52 ans après à nouveau publié en Algérie même… Je me suis dit, souligne Belkhodja : « Je ne vais pas attendre indéfiniment un éditeur… » . Et le fascicule put être exhumé et sortir (une nouvelle fois) de la nuit coloniale…
Mais combien d’autres textes encore à exhumer d’un Himoud Brahimi qui ne cessait de taper sur sa machine à écrire mais  qui, sauf rares exceptions, ne s’est jamais soucié de publier de son vivant ?...
Amar Belkhodja, aussi vénérable que les chênes de Tiaret, s’est engagé corps et âme dans une opération de sauvetage de l’œuvre de cet illustre casbadji du XXème siècle….
Salut et respect à son inappréciable contribution pour une appropriation sereine de notre patrimoine.


Amar Belkhodja lors de la commémoration de la Journée de l’Artiste  le 21 juin 2014, au Bastion 23, Alger