jeudi 29 mai 2014

Mostefa Nedjaï : un peintre prodige (3è partie) :



« (…) qu’est-ce que je vais faire avec un tel diplôme ?... »
Et le peintre de partir à la découverte du monde…

Interview (mai 1998)


« Mon cheval de craie », 1996
  

Abderrahmane Djelfaoui. Combien d’années tu as finalement passé en Espagne pour ta formation ?

Mostefa Nedjaï. J’avais eu une bourse pour cinq années d’études plus une année de langue, donc six en tout. J’avais terminé ces études, et malgré que je n’aie plus de bourse j’avais continué deux autres années encore pour un doctorat. Je me suis inscrit, j’ai payé mes frais et commencé à suivre ces cours mais, un peu après, comme ça, je me suis décidé d'arrêter. Je me suis dis : qu’est-ce que je vais faire avec un tel diplôme ? Je n’en n’ai pas besoin !.. J’ai préféré continuer dans l’aventure des expositions… 

A. D. En peintre professionnel à plein temps…

M. N. Exactement. D’ailleurs à cette époque là j’ai pu également exposer à Paris en participant à une exposition collective…

A. D. Tout en continuant à vivre et travailler en Espagne ?

M. N. Totalement ! Je travaillais pour gagner ma vie, parce que je n’avais plus de bourse, ma femme aussi. J’exposais, j’essayais de vendre un peu…
            Il faut aussi souligner un élément essentiel que j’ai oublié de signaler : pendant les huit ans passés là bas ça  a été aussi dans ma vie la plus grande chance pour voyager. Les voyages n’étaient pas chers ; il y avait les tarifs étudiants. Avec les seules bourses de ma femme et de moi-même nous avons pu faire la moitié, si ce n’est plus, de l’Europe ; aller aux Etats Unis, au Venezuela ! Tout cela c’étaient des voyages que nous avons payé nous mêmes. C’était formidable, parce que pour moi ces voyages ont été ma plus grande formation. Portugal, France, la Belgique, l’Italie, l’Angleterre, etc. Et en 1982, comme je te l’ai dit, nous sommes allé jusqu’aux Etats Unis, en vacances. C’est là, entre autres villes, que nous avons visité à Washington l’extraordinaire Musée national de l'air et de l'espace où on a pu admirer des avions grandeur nature suspendus aux  plafonds!  Mais aussi les capsules spatiales Gémini et Appolo…


Nora et Mustapha Nedjai devant la capsule spatiale Apollo
au National Air and Space Museum à Washington, D.C.


C’était, il faut le dire, des voyages improvisés, jamais organisés, parce que je crois que jusqu’à présent je n’ai jamais rien su organiser à l’avance. Je suis spontané !.. C’est comme ça que passant avec ma femme devant une agence de voyages nous avons vu écrit : Voyage aux Etats Unis, pour 18 000 pésétas à l’époque, ce qui représente quelque chose comme 900 FF. On se regarde, ma femme et moi : on y va ? Oui ? Non ? Oui , on y va !… Une fois aux Etats Unis, nous avons fait Washington, Philadelphia, New York, New Jersey, etc. A New York en passant dans la 46ème Avenue, je crois, on voit une annonce : « Venezuela, 7 jours, 75 dollars »… On s’est regardé ma femme et moi en se demandant : on y va ?.. Elle me demande si notre argent suffirait. J’ai répondu oui, et nous sommes partis pour le Venezuela !

            Je continue toujours à faire les choses ainsi : je ne prévois rien. Tous mes autres séjours, en France ou en Allemagne ont été de totales coïncidences. Il y a des gens pour qui voyager est une volonté de sortir, pour moi cela a toujours été des rencontres de hasard. Par exemple, quand j’ai été en Allemagne ce n’était que  pour une exposition, à une époque ou ça allait très mal en Algérie, début 1995.
  
Avec Liliane El Hachemi, à la Galerie Ayda, Hamburg, Allemagne ; 1995

J’ai exposé, puis une association m’a proposé une bourse d’une année à condition de travailler sur un thème et de le remettre à la fin de l’année. J’ai travaillé sur un livre que j’avais déjà commencé à Alger avec un enfant. J’ai ainsi passé une année en Allemagne et j’y ai terminé mon livre. Par un autre hasard je fais une exposition et j’expose ce livre. Là, je rencontre une autre association qui milite contre le racisme et sur les questions de l’immigration en Allemagne... Ils me demandent si je suis intéressé à travailler avec eux durant environ un an et demi… C’était en fait une étude financée par la compagnie Volswagen et la Communauté européenne sur les questions de l’immigration et du racisme entre deux villes : Londres et Hambourg. Ils ajoutent que le travail se fera avec des écoles, des enfants, qu’il faudra des photos et des dessins. Le fait d’avoir vu mon livre les avait intéressés. J’ai répondu oui, et je suis resté une année et demi de plus, tout en faisant des traversées en bateaux sur la Mer du nord avec des enfants entre Londres et Hambourg et vice versa…
Le corps est malade, 1995- 57 cm x 42 cm



Et à chaque fois ce sont des événements de ce type qui m’arrivent ; ce que j’appelle des rencontres. Même pour ce qui est de mes expositions. J’ai par exemple été simplement en voyage de tourisme en Hollande ; un mois après j’y revenais pour une exposition. Ce ne sont pas des occasions que je recherche vraiment ou que je provoque. En fait je suis comme ça de nature, je me laisse aller à la découverte et, comme on dit chez nous,  je prends ce que je trouve sur la route… Le poète espagnol Antonio Machado le dit : « Se hace camino al endar », le chemin se fait en marchant, et moi c’est un peu ça… Le poème entier est :
« Caminante no hay camino

e hace camino al endar »,

Ce qui peut se traduire à peu prés par: 

Toi qui marche, il n’y a pas de chemin
Le chemin se fait en marchant.

Mustapha avec Nora habillée à la mode traditionnelle de Valence…




(à suivre : Prochain article « Dur retour au pays : hna i mout Kaci ! »)
* Je remercie Mustapha Nedjai pour les documents photographiques personnels qu'il a mis à ma disposition.





 

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